Plymouth Barracuda
Plymouth Barracuda (1964-1974)
Au cours des années 1950, les constructeurs américains voient apparaître sur leur propre marché la concurrence des constructeurs européens (Volkswagen et Renault notamment) qui arrivent à écouler un nombre conséquent de voitures auprès d'un public soucieux de discrétion et d'économie.
Les trois grands constructeurs réagissent alors et, en 1960, ils lancent des modèles « compacts » : Chevrolet présente la Corvair, Ford la Falcon et le groupe Chrysler lance la Plymouth Valiant. Le terme de compact doit se comprendre dans son acceptation américaine : la Plymouth Valiant est établie sur un empattement de 2,69 m et son moteur de base est un 6 cylindres de 2,7 litres (quand une voiture américaine moyenne dispose d'un empattement de 3 m et d'un moteur V8 de 5,7 litres).
Avec plus de 194.000 exemplaires vendus dans sa première année, la Valiant réalise plus de 40 % du résultat de la marque et semble promise à un bel avenir. La gamme s'étoffe donc au fil des ans et, après les versions V100 et V200, Plymouth la décline en 1963 en version « Signet » à la vocation plus sportive. Le succès de la Corvair Monza de Chevrolet conduit alors Plymouth à muscler la Signet et c'est ainsi que le 1° avril 1964 apparaît la Plymouth Valiant « Barracuda », à la carrosserie de coupé deux corps.
Le succès est immédiat ; plus de 23.000 « Barracuda » sortent des chaînes au cours du reste de l'année (près de 10 % des 249 248 Valiant produites) au point que Plymouth décide d'en faire un modèle à part entière dès 1965.
Mais si la démarche de Plymouth est juste, le succès de la Mustang de Ford va fortement influencer le destin de la Barracuda. Présentée deux semaines après la Barracuda, la Mustang est issue d'une étude de marché similaire mais avec une réponse différente. Elle n'est pas une simple version sportive de la Falcon, elle est la première voiture « personnelle » abordable, avec un style racé (sous trois carrosseries différentes) et des options en pagaille ; plus de 121.000 exemplaires tombent des chaînes en 1964. Elle crée ainsi une nouvelle niche du marché ; les « ponycars », où elle est rejointe par son clone Mercury Cougar, ses concurrentes Chevrolet Camaro et Pontiac Firebird et une nouvelle génération de Plymouth Barracuda en 1967.
Une course à la puissance s'engage alors entre les trois groupes et, en 1970, les versions supérieures des « ponycars » deviennent des « Muscle Cars » avec des moteurs V8 de plus de 7 litres développant plus de 400 ch.
La Plymouth Barracuda se dédouble ainsi en Plymouth 'Cuda et Plymouth Hemi 'Cuda tandis qu’une version sœur apparaît chez Dodge sous l’appellation de Challenger. Mais cette course à la puissance s'arrête en 1974, victime de la conception rustique des voitures autant que de la perte d'intérêt du marché pour ces modèles.
I.Première génération (1964-1966).
Le succès de la Chevrolet Corvair Monza (version sportive qui représente 80 % de la production de la Corvair en 1963) incite les dirigeants de Plymouth a lancer une version similaire de leur Valiant. Sous la direction d'Elwood Engel, le styliste Irv Ritchie dessine alors un modèle « fastback » de la Valiant, en réminiscence des modèles « Sedanet » de la GM de la fin des années 1940. Aidé de John Richard « Dick » Samsen, Ritchie finalise son projet avec une maquette en clay grandeur nature qui enthousiasme les dirigeants de Plymouth. La voiture se singularise par son immense vitre de custode arrière qui est alors la plus grande pièce en un seul morceau de verre montée alors sur une voiture.
Les responsables des ventes songent à baptiser la voiture « Panda », mais les stylistes protestent et c'est la proposition de Samsen qui emporte la décision : la « Barracuda » est née. Milt Antonik dessine l'emblème au poisson stylisé qui sera utilisé jusqu'en 1970.
Reprenant entièrement la base de la Valiant (la caisse A de 2,69 m d'empattement partagée avec la Dodge Dart), la « Barracuda » est équipée en série d'un moteur 6 cylindres de 2,8 litres et 101 ch. Ce moteur est surnommé « Slant Six » car il est incliné sur le côté (slant) pour pouvoir être logé sous le capot. Mais l'acheteur peut préférer l'option du moteur V8 de 4,5 litres de 180 ch.
L'intérieur est équipé des sièges baquet de la finition Signet, une banquette arrière rabattable et une trappe à l'arrière pour transporter des objets encombrants. La Valiant Barracuda est affichée à 2.365 $, contre 2.256 $ pour une Valiant Signet et 1.921 $ pour une Valiant de base. Mais la campagne publicitaire pour le lancement de la voiture insiste davantage sur ses équipements de confort et pratiques que sur son aspect sportif, ce qui brouille grandement son image pour les années suivantes.
La voiture est lancée le 1° avril 1964 ... date obligée pour un poisson ! Avec 23.433 exemplaires vendus cette année là, la Barracuda obtient un score honorable ; elle représente 34 % des ventes de la Valiant Signet et 9 % des ventes totales de la Valiant.
Dès 1965, la Barracuda devient ainsi un modèle à part entière. Elle reçoit quelques petites modifications cosmétiques de détail. Côté moteurs, le 6 cylindres de 2,8 litres est abandonné au profit d'un 6 cylindres de 3,7 litres et 145 ch. et un deuxième V8 de 4,5 litres à carburateurs 4 corps de 235 ch. est proposé en option (surnommé « Commando »). La Barracuda est déclinée en une version « Formula S » qui dispose du V8 Commando, d'une suspension renforcée, de jantes différentes avec des pneus assortis et pour finir d'un compte tour. La production s'élève à 64.596 exemplaires.
Pour 1966, la face avant et l'arrière sont remodelés. L'emblème au barracuda remplace le "V" de la Valiant sous le hayon. L'intérieur est aussi légèrement retravaillé, et une console centrale est proposée en option. Mais le modèle vieillit mal : la production tombe à 38.029 exemplaires (soit un total de 126.068 pour la première génération). Le phénomène Mustang est passé par là.
II.Seconde génération (1967-1969).
Deux semaines seulement après le lancement de la Barracuda, Ford lance sa Mustang, elle aussi dérivée de la compacte du constructeur, la Falcon. Mais le responsable de son développement, Lee Iaccocca, ne s'est pas contenté de faire une habile version sportive de la Falcon ; il l'a conçue comme un modèle à part entière, à forte personnalité, dans l'esprit de la première Thunderbird. Forte d'une gamme de trois carrosseries (coupé, fastback et cabriolet) et d'une gamme d'options infinie, la Mustang permet à chaque acheteur de disposer d'une voiture personnalisée unique. Avec 680 989 exemplaires vendus la première année (i.e. entre avril 1964 et août 1965), la Mustang écrase ses concurrentes et crée une nouvelle niche sur le marché : les « pony cars » (en américain, le mot pony désigne un petit cheval comme le mustang) ... si Plymouth avait mieux réussi son opération, ce type de voitures aurait pu s'appeler « fish cars » !
Les responsables de Plymouth corrigent donc le tir et présentent une nouvelle génération de Barracuda en 1967, dont le style s'inspire de la Mustang. Reprenant toujours la caisse A du groupe, la nouvelle Barracuda repose sur un empattement allongé à 2,74 m, comme la Mustang. Et comme sa concurrente, elle est proposée en trois carrosseries : le coupé hardtop (à coffre classique) est affiché à 2 449 $, le coupé fastback à 2 639 $ et le cabriolet à 2 779 $, des tarifs similaires à ceux de la Mustang (respectivement 2 461 $, 2 592 $ et 2698 $).
Le moteur 6 cylindres est abandonné et la voiture dispose de 3 moteurs V8 ; le 4,5 litres de 180 ch en série, la version « Commando » de 235 ch en option, tout comme un nouveau V8 de 6,3 litres et 280 ch. Malheureusement, le moteur 6,3 litres est si gros que la pompe de la direction assistée ne peut pas être installée sous le capot, ce qui a diminue fortement le confort de conduite et la maniabilité. La version « Formula S » est toujours disponible, avec ses équipements particuliers.
La production de 1967 atteint 62 534 exemplaires (contre plus de 472 000 Mustang).
Pour 1968, la Barracuda reçoit des changements mineurs et le choix des moteurs s'agrandit avec la réintroduction du « Slant Six » de 3,7 litres. Le 6,3 litres de haut de gamme voit sa puissance croître à 300 ch. Les moteurs de 4,5 litres sont remplacés par un V8 de 5,2 litres et 230 ch et un V8 de 5,6 litres et 275 ch.
Pour donner une image plus sportive à la Barracuda, Plymouth construit discrètement une série limitée de 50 Barracuda équipées de son fameux moteur « Hemi » (V8 de 7 litres et 425 ch, désigné ainsi en raison de la forme de ses chambres de combustion qui sont hémisphériques) qui sont données à des pilotes de courses professionnels, mais l'opération est si discrète qu'elle n'apporte rien à l'image de la voiture. La production de 1968 tombe à 45 412 exemplaires seulement.
Plymouth aborde la marché des voitures de caractère de façon vraiment sérieuse en 1969. La puissance du moteur de 6,3 litres passe à 330 ch et de la place est trouvée pour installer la direction assistée. Ainsi motorisée, une Barracuda abat le 400 m départ arrêté en 15,5 secondes avec une vitesse de passage de 148 Km/h.
Plymouth propose également une option cosmétique établie à partir de la Formula S, appelée 'Cuda. La 'Cuda est disponible avec le V8 5,6 litres de 275 ch ou le V8 de 6,3 litres, mais cela ne suffit pas encore.
Plymouth réplique avec le V8 7,2 litres à trois carburateurs double corps, le plus gros moteur installé dans une « pony car ». Malheureusement, ce moteur plus gros oblige de nouveau à enlever la direction assistée et il n'est disponible qu'avec la transmission automatique, la seule qui permet d'absorber l'énorme couple du moteur. Avec ce moteur, le 0 à 100 Km/h tombe en moins de 6 s, et le 400 m départ arrêté se passe en 14 s à 167,4 Km/h. Mais avec 57% du poids de la voiture sur l'avant et des freins à tambour, la maniabilité et le freinage sont à la peine.
La production s'établit à 31 987 exemplaires, soit une nouvelle chute de 30 % des ventes (pour un total de 139 933 exemplaires de la deuxième génération).
III.Troisième génération (1970-1974).
En plus de la Mustang (déclinée en Mercury Cougar depuis 1967), la Barracuda de deuxième génération a du faire face à la concurrence du duo Camaro/Firebird de la GM ... Chrysler comprend rapidement son besoin de corriger à nouveau le tir et développe pour cela un nouveau modèle, établi sur une nouvelle plate forme (la « E »), dessiné avec des lignes en « bouteille de Coca-Cola », et proposé à la fois en version Plymouth Barracuda et en version Dodge Challenger (les deux modèles diffèrent toutefois par leur empattement : 2,74 m pour la Barracuda, 2,79 m pour la Challenger, ainsi que par leurs dimensions hors tout).
La nouvelle Barracuda n'est proposée qu'en deux carrosseries : coupé et cabriolet, le fastback n'est pas reconduit, mais elle est proposée en trois finitions, de caractères très différents :
- Barracuda : version de base, équipée du 6 cylindres de 3,7 litres et 145 ch ou du V8 de 5,2 litres et 230 ch, avec peu d'options disponibles ;
- Gran Coupé : version "luxe", motorisation similaire à la version de base mais avec beaucoup d'options de confort et d'ornementation disponibles (enjoliveurs, décalques discrets, chromes) ;
- 'Cuda : version "sport", avec moteurs puissant et options sport (aileron, décalques,...).
Les Barracuda de base et les Gran Coupé ont un capot plat, alors que 'Cudas reçoivent des doubles prises d'air non fonctionnelles. Elles peuvent recevoir en option des prises d'air fonctionnelles (qui sont montées en série sur les « Hemi ») ; ces prises sont qualifiées de tremblantes, car elles sont fixées directement sur le moteur (elles passent à travers le capot) et vibrent avec le moteur.
Les 'Cuda peuvent recevoir des V8 de 5,6 litres 275 ch, 6,3 litres 335 ch, 7,2 litres (en deux versions 375 ch ou en version « Six Pack » (+6) à 3 carburateurs double corps de 390 ch) et le puissant « Hemi » 7 litres de 425 ch. Les modèles 7,2 litres et « Hemi » sont équipés d'une suspension renforcée pour arriver à transmettre toute cette puissance à la route. Le moteur « Hemi » est une option qui coûte 871 $ et qui n'équipe que 652 coupés (sur 17 242) et 14 cabriolets (sur 550). Il a des poussoirs hydrauliques et il est plus facile à régler que les versions précédentes. Le moteur 7,2 litres+6 est une affaire à 250 $ seulement et il est aussi performant que le « Hemi » jusqu'à 110 Km/h. Les deux moteurs sont délicats à conduire : le 7,2 litres+6 connaît des brusques trous à l'alimentation, et le « Hemi » subit des trous à l'accélération quand les 8 corps des carburateurs sont remplis simultanément. Avec le moteur « Hemi », une 'Cuda passe de 0 à 100 Km/h en 5.8 secondes et passe les 400 m départ arrêté en 13,4 s à 168,3 Km/h. La 'Cuda entre ainsi dans la catégorie des « Muscle Cars » (les Barracuda et Gran Coupe restant des « pony cars »).
Les tarifs sont calqués sur ceux de la concurrence et s'échelonnent de 2 764 $ pour un coupé Barracuda à 3 433 $ pour un cabriolet 'Cuda. La production de 1970 atteint 55 499 exemplaires, 49 % en version Barracuda, 35 % de 'Cuda et 16 % de Gran Coupé.
Plymouth construit également un modèle spécial en 1970 : la Plymouth AAR 'Cuda, d'après le sigle de l'équipe « All-American Racing » du coureur Dan Gurney, qui engage des 'Cudas dans les compétitions Trans-Am du SCCA (Sports Car Club of America). Mais alors que Ford et Chevrolet ont construits des modèles spéciaux (Mustang Boss 302 et Camaro Z28) qui reproduisent les voitures de course, Plymouth a en construit une version routière. Avec son clone Dodge Challenger T/A, l'AAR 'Cuda est équipée d'un V8 unique de 5,6 litres à trois carburateurs double corps qui développe 290 ch. Le traitement extérieur est certainement unique avec un capot en fibre de verre de verre noir mat, des bandes discontinues sur les côtés, l'emblème d'AAR en trois couleurs, et l'aileron arrière noir en série. L'AAR 'Cuda dispose également d'amortisseurs spéciaux et les ressorts arrière cambrés qui soulèvent l'arrière de 4,5 cm au-dessus par rapport à la 'Cuda normale, ce qui permet de faire surgir les échappements en avant du passage de roue arrière (après être passés dans le silencieux placés sous le coffre). Cela permet également de monter des pneus plus larges à l'arrière, une des premières utilisations de cette disposition sur une voiture de série.
L'année 1971 apporte quelques changements mineurs, dont une calandre segmentée avec ses six entrées d'air et des phares doubles, des ouies d'ailes avant factices, et des feux arrière séparés. Mais 1971 est d'abord l'année d'application du « Clean Air Act » (la loi sur l'air pur), la loi fédérale visant à réduire les émissions polluantes. Pour répondre aux normes anti-pollution prévues par la loi, Plymouth est obligé de dégonfler certains de ses moteurs, avec pour résultat une baisse des puissances annoncées : 300 ch pour le 6,3 litres et 385 ch pour le 7,2 litres « Six Pack ».
En revanche, le moteur « Hemi » ne peut pas répondre aux nouvelles normes. Plymouth assemble toutefois 115 « Hemi 'Cuda » avant d'être obligé de le retirer.
Par ailleurs, les assureurs voient d'un très mauvais oeil le développement de ces « Muscle Cars » au moteurs surpuissant mais à la définition technique simpliste, avec leur châssis séparé, leur pont arrière rigide, leur suspension arrière à ressorts à lames et leurs freins à tambours. Les primes d'assurance s'envolent et deviennent dissuasives.
Les ventes des Barracuda se réduisent à 18 690 exemplaires, en retrait de 66 % par rapport à l'année précédente. Les versions Gran Coupé ne représente plus que 9% de ce total.
La gamme Barracuda est encore réduite en 1972. Le cabriolet n'est plus proposé, les versions Gran Coupé disparaissent et les moteurs de 6,3 litres et de 7,2 litres sont supprimés. En outre, les puissances des moteurs sont désormais exprimées en « ch net SAE ». Le « Slant Six » de 3,7 litres ne fait plus que 110 ch et le V8 de 5,2 litres 150 ch. Le plus gros moteur disponible est le V8 de 5,6 litres qui développe 240 ch, qui permet à une 'Cuda d'effectuer un 0 à 100 Km/h en 8.5 secondes, et de passer le 400 m départ arrêté en 16 secondes.
Les feux arrières sont changé et sont au nombre de quatre, comparables à ceux des Corvettes ou des Ferrari de l'époque. La production reste stable à 18 450 exemplaires.
Pour 1973, les pare-chocs se voient affublés d'affreux embouts en caoutchouc pour répondre aux nouvelles normes de sécurité passive qui exige que la voiture résiste sans se déformer à un choc à 8 Km/h. La gamme se réduit : le moteur six cylindres disparaît et le modèle de bas de gamme a maintenant le V8 de 5,2 litres. Le V8 optionnel de 5,6 litres est monté en série sur la 'Cuda. Au milieu de l'année, il est remplacé par un nouveau V8 de 5,9 litres de 245 ch, mais sans amélioration des performances. La production augmente de 20 % et atteint 22 213 exemplaires, dont quasiment autant de Barracuda que de 'Cuda.
La gamme est reconduite une dernière fois en 1974, avec le 5,2 litres sur la Barracuda et le 5,9 litres sur la 'Cuda. La production s'effondre à 11 734 exemplaires (soit un total de 126 586 Barracuda de troisième génération).
La Barracuda et la Challenger ne sont pas remplacées. Les dirigeants de Chrysler ne souhaitent pas renouveler une gamme de voitures de caractère qui n'entre plus dans leurs projets constitués des futures Aspen, Horizon, Omni, Valiant et Volaré. Malheureusement, ils font ce choix au moment où le marché des « pony cars » connaît une croissance qui va atteindre son sommet à la fin des années 1970. "Nous avons négligé la seule partie du marché qui s'est développée," regrettera Karl Cameron, le responsable du studio de style Dodge, responsable de la Challenger de 1970. "Nous l'avons abandonné, et j'ai toujours pensé que c'était une erreur." Le prototype de la Barracuda de 1975 reste sans suite ...