La guerre des Dodge

La guerre des Dodge.

1913 wahl tourer

Au printemps de 1913, Joseph Hofweber, à la tête de la Hofweber Motor Car Company de LaCrosse (Wisconsin), a besoin d’argent pour poursuivre le développement de sa voiture qui n’en est encore qu’au stade du projet. Il rencontre George J. Wahl, qui travaille depuis 1908 au service commercial de Ford, W.J. Hickesh et un certain Alvan M. Dodge (un homonyme des frères Dodge). Ensemble, ils réunissent un capital de 85.000$, trouvent un local au 3098 East Grand Boulevard à Detroit, et changent la raison sociale de la firme en Wahl Motor Company. La Wahl est une voiture typique de l’époque, établie sur un empattement de 2,69m et propulsée par un moteur à 4 cylindres de 3.261 cm3 et 25 ch. Elle est proposée en deux carrosseries : un roadster à 2 places, à 750$, et une Touring Car (torpédo) à 5 places, à 790$. Mais le capital initial ne suffit pas pour lancer la production. De façon à attirer des investisseurs, Wahl offre à tous les revendeurs la possibilité de vendre la voiture en apposant leur propre nom sur la calandre ! Malheureusement, les factures s’empilent et il n’y a toujours pas d’argent pour les régler. Désespéré, George Wahl met un terme à ses 35 années d’existence le 6 octobre en absorbant une bouteille de phénol. La société est mise en règlement judiciaire. James Root, directeur de la MW Bond Automobile Company, de St Louis (Missouri), rachète la firme pour 100.000$. Il conserve la marque, décide d’augmenter le prix des voitures de 100$ et relance la production en janvier 1914. Le mois suivant, Alvan Dodge démissionne pour fonder sa propre firme, la Dodge Motor Car Company. En fait, il se contente de faire ce que Wahl avait proposé ; il appose son nom sur la voiture ! Mais en 1914, il n’y a pas moins de 146 firmes automobiles qui voient le jour aux Etats-Unis, et perdue dans la multitude, la Dodge n’a pas plus de succès que la Wahl. Il faut dire aussi que depuis l’été 1913, tout le monde attend la nouvelle merveille du marché : la voiture des frères Dodge. Et la création de la marque Dodge Brothers Motor Car Company le 17 juillet 1914 suscite une émotion considérable dans le milieu des revendeurs qui veulent tous en devenir le représentant. Elle suscite aussi l’émoi d’Alvan Dodge qui estime être le seul à pouvoir utiliser son nom puisqu’il l’a déposé le premier. Il décide donc de porter plainte contre les frères Dodge pour utilisation frauduleuse de son nom. L’instruction prend du temps, et l’affaire n’est jugée par la cour du Michigan qu’en janvier 1916. Les juges reconnaissent effectivement que la Dodge Motor Car Company d’Alvan Dodge a bien été la première à lancer sur le marché une automobile portant la marque Dodge. Mais ils constatent aussi que la production de cette voiture n’a duré que quelques mois, qu’elle n’a pas été régulière et qu’elle ne s’est pas poursuivie après la faillite de la Wahl Motor Company en octobre 1914, qui a entraîné celle de la Dodge Motor Car Company. A contrario, les juges constatent que bien qu’ayant été fondée après, la Dodge Brothers Motor Car Company a parfaitement réussi et que, en moins d’une année, sa production a atteint un niveau industriel. Ils déboutent donc Alvan Dodge de sa plainte et accordent le droit aux frères Dodge de continuer à utiliser leur nom. Les frères Dodge connaissent le succès que l’on sait, et Alvan Dodge retombe dans l’anonymat, comme les 144 autres concurrents malheureux qui se sont lancés dans l’aventure industrielle en 1914.

1913

Au-delà de cet échec, la démarche d’Alvan Dodge reste troublante. Investissant dans le milieu automobile de Detroit, il n’est pas sans connaître les frères Dodge et leur intention de lancer leur propre voiture ; la presse en a largement fait écho depuis le mois d’août 1913. Quand il décide six mois plus tard de fonder une firme portant son nom (qui est aussi celui des deux magnats), il se doute bien que cela va poser un problème ; la société fondée par les deux frères en 1900 s’appelle déjà Dodge Brothers. Sa démarche ressemble dès lors davantage à un coup monté pour récupérer des dommages et intérêts sonnants et trébuchants, que comme la défense désintéressée de son patronyme.