Six cylindres en tête (1929-1942)

La période classique de Chevrolet (de 1929 à 1942) est celle de son affirmation en tant que premier constructeur américain, devant Ford. Equipées d’un moteur à 6 cylindres à la souplesse et à la solidité qui vont devenir légendaires, les Chevrolet reçoivent enfin des carrosseries au style attrayant.

La ‘baby Cadillac’ (1929-1932).

Conçu par Ormond E. Hunt, le nouveau 6 cylindre à soupapes en tête a une cylindrée de 3 179 cm3 et une puissance de 46 ch. Pour conserver un coût de fabrication similaire au 4 cylindres, ses pistons sont en fonte. Cette caractéristique lui vaut le surnom de « Cast Iron Wonder » (merveille de fonte), et les boulons à tête plate qui ferment sa culasse lui apportent le surnom de « Stovebolt » (boulon de feu). Sa puissance est poussée à 50 ch. en 1930, et à 60 ch. en 1932. La même année, il est accouplé à une boîte à 3 vitesses Synchro-Mesh. Mais ‘Big Bill’ Knudsen ne compte pas seulement sur cette merveille pour vendre la voiture ; dès 1927, il demande à Harley Earl de s’occuper du style des Chevrolet de façon à leur donner l’allure de la superbe LaSalle. La Chevrolet de 1929 ressemble à une petite Cadillac, et la ressemblance devient de plus en plus évidente les années suivantes ! Dès 1930, le pare-brise est légèrement incliné, en 1931, les modèles DeLuxe arborent une grille de protection chromée de la calandre similaire aux Cadillac V16, et les modèles de 1932 reçoivent un capot à quatre volets latéraux à la Cadillac. La gamme initiale se compose de dix carrosseries, du roadster à l’Imperial Landau qui dispose d’un toit découvrable à l’arrière. En 1931, avec l’adoption d’un châssis plus épais et un empattement porté à 2,77 m, les carrosseries deviennent plus spacieuses, et le poids total des voitures augmente pour dépasser la tonne (le roadster pèse 1.032 kg). La gamme comprend un élégant Coupé à 5 places au coffre intégré. Le confort intérieur évolue par petites touches successives ; les phares sont actionnés au pied dès 1929, la jauge à essence est installée sur le tableau de bord en 1930, les sièges avant sont réglables en 1932. Commercialement parlant, Chevrolet continue de donner une appellation différente à ses modèles chaque année : International en 1929, Universal en 1930, Independence en 1931 et Confederate en 1932.

Johnny weissmuller et sa chevrolet de 1932

Johnny Weissmuller et sa Chevrolet 1932

La carrière de ces Chevrolet est malheureusement perturbée par la crise économique. La ‘6 Cylindres au prix d’une 4 Cylindres’ connaît d’abord le succès : au cours des cinq premiers mois de sa production, elle est vendue à plus de 600.000 exemplaires. Il faut dire qu’avec des tarifs compris entre 525$ et 725$, la Chevrolet de 1929 ne coûte que 10$ de plus que son équivalent à 4 cylindres de 1928, et elle vaut 100$ de moins que la moins chère des autres 6 cylindres. La production finale est de 1.328.605 unités, mais Ford réussit à faire mieux grâce aux livraisons en retard des commandes enregistrées pendant la fermeture de son usine. Mais la crise économique frappe le marché automobile à l’automne 1930 et la production s’effondre de moitié pour n’atteindre que 640.980 unités (Ford ne recule que d’un quart et sa production est encore de 1.140.710 unités). La production baisse encore en 1931 mais Chevrolet bénéficie du fort recul de Ford pour récupérer la première place du marché. La crise économique est à son paroxysme en 1932 ; la production s’effondre encore de moitié et elle n’atteint plus que 313.404 unités. Chevrolet reste pourtant le premier constructeur américain, la production de Ford dépassant à peine les 210.000 exemplaires malgré l’arrivée de son modèle V8. Chevrolet est la seule division de la General Motors à dégager une marge bénéficiaire cette année là.

Fin du modèle unique (1933-1936).

Après dix ans de modèle unique, Chevrolet décline une version simplifiée et plus petite de sa voiture. Les deux séries diffèrent par leur cylindrée (2.966 cm3 et 3.376 cm3), leur puissance (60 ch. puis 74 ch. contre 65 ch. et 80 ch.) et leur empattement (2,72 m puis 2,74 m et 2,77 m contre 2,79 m puis 2,84 m et 2,87 m), jusqu’en 1936 quand les deux séries reçoivent le plus gros moteur dans une version de 79 ch. qui est surnommé ‘Blue Flame Six’. Le style des voitures suit la mode du streamline (que la marque rebaptise Airstream), avec des ailes à bavolets, une calandre en étrave, un pare-brise incliné et une partie arrière aux lignes fuyantes, qui en font les Chevrolet les plus séduisantes de la décennie. En 1934, les voitures sont allongées, les ailes avant descendent jusqu’au pare-chocs et les volets du capot sont remplacés par trois ouvertures horizontales. Mais la carrosserie tout acier ‘Turret Top’ de Fisher est proposée sur le grand modèle (en 1935) avant de l’être sur le petit (en 1936). Malheureusement, cette carrosserie entraîne un alourdissement général des lignes, avec des ailes convexes empattées (elle provoque également la disparition des versions roadster et touring). Les voitures bénéficient de deux améliorations mécaniques importantes : la suspension avant indépendante en 1934 (la célèbre ‘Knee-Action’, mais uniquement sur le plus grand modèle et à condition que l’acheteur n’ait pas choisi de conserver un essieu rigide) et les freins hydrauliques en 1936. Autre évolution, si les voitures de 1933 sont appelées Eagle (pour le grand modèle) et Mercury (pour le petit), le changement systématique d’appellation annuel est supprimé en 1934 avec l’arrivée de leurs remplaçantes, Master (qui deviennent Master DeLuxe dès 1935) et Standard (sauf pour l’usine qui continue de les distinguer en fonction de leur Series, comme avec la Superior). Tout au long de la période, les prix connaissent une inflation ; compris entre 445$ et 565$ en 1933, ils s’échelonnent entre 495$ et 665$ en 1936. Mais la reprise économique fait doubler la production en 4 ans : de 486.220 unités en 1933 à 908.279 unités en 1936 … mais Ford reprend sa première place dès 1934.

Une voiture parfaite (1937-1939).

C’est ainsi qu’est annoncée la Chevrolet entièrement redessinée de 1937 (le ré-outillage des usines a coûté 26 millions de dollars). Le style, du à Jules Agramonte, qui a dessiné la superbe LaSalle de 1934, se caractérise par un pli de carrosserie qui naît dans le creux des ailes avant et qui s’étend le long des ailes sur les portes avant. Les deux séries utilisent le même empattement de 2,86 m, et elles sont baptisées Master (puis Master 85 en 1939) et Master DeLuxe. Le châssis renforcé supporte des carrosseries plus larges et plus spacieuses qu’avant. La calandre est redessinée en 1938 par Franklin Q. Hershey avec des barres horizontales et non plus verticales. Un nouveau moteur est installé sous le capot. Disposant toujours de soupapes en tête, il a une course réduite et un alésage augmenté par rapport à l’ancien groupe, pour une cylindrée de 3 548 cm3 et une puissance de 85 ch., la même que celle du V8 Ford. En 1939, la suspension ‘Knee-Action’ est remplacée par une nouvelle suspension constituée de triangles et de ressorts hélicoïdaux (mais la Master 85 conserve un essieu rigide). Les tarifs sont de plus en plus élevés ; de 619$ à 788$ en 1937, et de 628$ à 883$ en 1939, et c’est le modèle le plus cher qui est le plus vendu. Les résultats commerciaux sont cependant de nouveau affectés par une récession, mais Chevrolet récupère la première place du marché dès 1938, pour ne plus la perdre. La production de 1939 atteint 577.278 unités.

Et de trois (1940-1942)

Les Chevrolet sont entièrement redessinées pour 1940 avec des lignes plus fluides. Leur style est supervisé par Bill Mitchell et elles ressemblent de nouveau à des petites Cadillac. L’empattement est allongé à 2,87 m et la longueur est de 4,89 m. En 1941, un nouveau restylage supprime les marchepieds et intègre les phares dans les ailes avant ; l’empattement est de 2,95 m et la longueur est de 4,96 m. Puis en 1942, les ailes débordent sur les portes. Il y a désormais trois séries. La Master 85 est la moins chère avec un essieu avant rigide et une finition spartiate. La Master DeLuxe est équipée de la suspension avant indépendante et d’une meilleure finition. Enfin, la Special DeLuxe dispose de l’aménagement intérieur le plus somptueux que n’a jamais eu une Chevrolet, avec deux essuie-glaces, deux avertisseurs sonores, une montre, et un volant avec un cerceau de commande d’avertisseur. Le plus étonnant est que c’est cette nouvelle venue qui devient, et loin devant, la Chevrolet la plus vendue (la Master 85 est d’ailleurs supprimée dès 1941). Le moteur est fortement modifié en 1941 avec des chambres de combustion redessinées et un taux de compression plus élevé qui fournit une puissance de 90 ch. En référence aux préoccupations du moment, il est surnommé « Victory Six » (le 6 cylindres de la Victoire). Malgré des prix encore en hausse (la Special DeLuxe dépasse les 1.000$ en 1940), les Chevrolet sont toujours considérées comme des affaires ; la production de 1940 franchit à nouveau la barre symbolique du million avec 1.008.976 unités. Chevrolet reste le premier constructeur américain. Après l’attaque de Pearl Harbor du 7 décembre 1941, le gouvernement décrète le rationnement des métaux rares et à partir du 1° janvier 1942, les voitures n’utilisent plus d’éléments brillants, à l’exception des pare-chocs et des balais d’essuie-glaces. Le 1° février 1942, l’intégralité de l’industrie est reconvertie à l’effort de guerre et la production automobile est arrêtée après une production de 178.500 unités seulement (dont 61.855 exemplaire de la Special DeLuxe Fleetline Aerosedan, une superbe conduite intérieure à 2 portes à l’arrière fuyant). Nul ne sait quand il verra de nouveau une voiture quitter les chaînes de Detroit.