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Les débuts (1911-1915)

Louis et Arthur savaient qu'un seul d'entre eux aurait le poste. Ils s'installèrent chacun dans la voiture qui leur était destinée. Les moteurs vrombissaient et l'homme leva le bras droit au ciel. Quand il le rabaissa, les deux frères démarrèrent dans un nuage de poussière. Le virage arrivait, Louis pris la corde, obligeant Arthur à freiner. La ligne droite était courte. Arthur rattrapa son retard et cette fois, c'est lui qui était le mieux placé à la corde. Louis ne leva pas le pied. Il contrebraqua et mit la voiture en travers, l'engageant dans une longue glissade tout au long du virage. Arthur le regarda du coin de l'œil ; Louis ne se laisserait jamais faire. Encore deux virages et il gagnerait. Arthur se fit une raison ; Louis termina en tête. Le patron les laissa descendre : "Jolie course, messieurs" leur dit il. "Mais je n’ai besoin que d'un seul chauffeur ! Voulez vous être celui-ci, Arthur ?". Louis resta stupéfait. "Mais, c’est moi qui ait gagné, Monsieur !" clama-t-il avec force. "Mais vous avez pris trop de risques" lui répondit le patron, "Je veux un chauffeur qui fasse attention à ses passagers comme à sa machine. Arthur a compris qu'il n'était pas raisonnable d'essayer de vous battre".

C'est ainsi[i] que ce jour de 1908, à Flint (Michigan), William Crapo Durant (dit ‘Billy’, 1861-1947), patron de Buick, engage Arthur Chevrolet comme chauffeur personnel … et son frère Louis comme pilote de course. Soulagé de ce petit problème d’intendance, Billy Durant crée la General Motors Company, un consortium regroupant Buick, Oldsmobile, Oakland et Cadillac. Deux ans plus tard, Billy Durant en perd le contrôle, évincé par les banquiers qui ne souhaitent pas le suivre dans ses nombreux rachats de firmes en tout genre.

Louis chevrolet Billy durant

Louis Chevrolet       William C. Durant

Des prête-noms réputés.

Durant propose à William H. Little, l’ancien directeur général de Buick, de donner son nom à une société de construction d’automobiles, la Little Motor Car Company, et à Arthur C. Mason, son ancien ingénieur en chef, de donner le sien à une société de construction de moteurs, la Mason Motor Company. L’idée de Durant est de fabriquer une concurrente de la Ford T, qui commence son irrésistible ascension. C’est un projet qu’il a mis en chantier en 1909, quand il a demandé à Louis Chevrolet de le concevoir. Car, outre ses talents de pilote, Chevrolet a de bonnes idées sur la conception des voitures. Avec ses frères et Etienne Planche, un ingénieur français qui vient de concevoir la Mercer, il s’installe à Detroit, avenue Grand River, pour élaborer deux modèles ; le premier avec un 4 cylindres, le second avec un 6 cylindres. Durant décide de faire construire la 4 Cylindres par Little et le moteur par Mason ; le roadster Little est alors proposé au prix de 650$[ii], comme la Ford T. Quant à la 6 Cylindres, Durant décide de constituer une deuxième société de construction d’automobiles pour la fabriquer et il propose à Louis Chevrolet de lui donner son nom.

1911 annonce

Le 30 mai 1911, le projet est annoncé à la presse par un communiqué : « W.C. Durant, de la société General Motors, et le pilote de course Louis Chevrolet, un des maîtres de la vitesse du moment et collaborateur de M. Durant pour la fabrication et le développement de voitures rapides, vont construire une usine à Detroit pour la fabrication d’une nouvelle voiture ». Le 3 novembre 1911, Durant fonde la Chevrolet Motor Company du Michigan et il achète une usine à Detroit sur West Grand Boulevard pour assembler la voiture à partir de pièces fournies par ses autres sociétés. Un an après son éviction de la General Motors, Durant dirige un nouveau consortium, la Republic Motor Company, comprenant Little, Chevrolet, Mason et d’autres sociétés.

La Chevrolet Type C (1911-1913).

1913 chevrolet type c

Le prototype présenté à la fin de l’année 1911 est loin d’être au point. La première voiture n’est présentée aux revendeurs que le 2 janvier 1913. Elle est désignée sous l’appellation française[iii] de « Type C » (les Type A et B désignant les différents prototypes). Inquiet du retard que prend Chevrolet, Durant demande à William Little de prendre la direction de la firme pour lancer la production de la voiture. La première  voiture est livrée le 13 mars.

La Chevrolet est proposée sous la seule forme d’une Touring à 5 places, une vaste carrosserie décapotable à quatre portes avec deux rangées de sièges fixes et un compartiment arrière allongé pour favoriser l'espace aux jambes des passagers arrière[iv]. L’empattement mesure 3,05 m. Le moteur est un 6 cylindres en ligne de 4,9 litres de 40 ch. à deux arbres à cames en tête. Un embrayage à cône et une boite de vitesse à trois rapports sont montés sur l’essieu arrière. Pesant 1.590 kg, la voiture peut rouler à 105 km/h. Avec ses phares et ses feux de capot électriques en série, la Chevrolet est affichée au prix de 2.150$, à mi chemin entre la Cadillac et la Packard. Il est courant de lire que la production de Chevrolet en 1912 atteint 2.999 exemplaires[v]. Toutefois, en dehors des prototypes, aucune Chevrolet n’est construite cette année là ; ce résultat est celui du consortium de Billy Durant, et toutes ces voitures sont donc des Little ! En 1913, la production s’établit à 5.987 exemplaires, mais à nouveau, la majorité de ces voitures sont des Little. La Type C est une grande et belle automobile, mais ce n’est pas en essayant de la vendre moitié plus chère qu’une Cadillac que Durant peut concurrencer Ford. Il fait construire une usine à Flint pour localiser tous ses fournisseurs sur le même site et en août 1913, l’assemblage de la Chevrolet est transféré à Flint. A ce moment, Louis Chevrolet se trouve en Europe. A son retour, il comprend qu’il n’a plus la possibilité de faire valoir son point de vue ; il quitte le monde de Durant en décembre 1913, il lui vend les droits d’utilisation de son nom pour 10.000$ et 100 actions de la société Chevrolet, puis il reprend sa carrière de pilote.

Type H et L (1914-1916).

Désormais construites dans la même usine, les Little et les Chevrolet ne se distinguent que par leurs emblèmes,  leurs appellations et leurs prix (prémices du badge engineering spécifique à la GM bien des années plus tard…). Au mois d’août, les Little sont rebaptisées ‘Chevrolet’. La Chevrolet 4 cylindres (le Type H) est établie sur un empattement de 2,64 m et elle est équipée d’un moteur de 2,8 litres développant 24 ch. La transmission est montée au milieu du châssis, derrière un embrayage à cône. La suspension est assurée par des ressorts semi-elliptiques à l’avant et trois quarts elliptiques à l’arrière. Les voies font 1,42 m, mais le client peut demander à les élargir à 1,52 m, une option surnommée ‘Southern Tread’ (voie méridionale) qui correspond à la largeur des voies d’un chariot hippomobile, ce qui s’avère bien utile à une époque où toutes les routes ne sont pas encore goudronnées. Les roues de série sont du type ‘artillerie’, en bois, mais des roues en acier peuvent être installées en option. La Type H est disponible en deux versions : la ‘Royal Mail’, un roadster 2 places pesant 895 kg et proposé à 750$, et la ‘Baby Grand’, une touring à 5 places pesant 1.134 kg et proposée à 875$, des tarifs équivalents à ceux d’Oldsmobile. Pour 1915, l’empattement est allongé à 2,69 m. et le démarreur électrique est installé en série, une première sur une voiture de cette gamme de prix.

1914 chevrolet type h baby grand touring 1914 chevrolet type h royal mail roadster

Baby Grand                                                Royal Mail

De son côté, la Chevrolet 6 cylindres (le Type L, pour signaler son statut de Light Six (Six légère) en comparaison à la précédente Type C) dispose d’un empattement allongé à 2,84 m. Son moteur 6 cylindres à soupapes latérales de 4.441 cm3 développe 35 ch. C’est la première Chevrolet à arborer le fameux ‘bow tie’, l’emblème en forme de nœud papillon. Equipée d’un démarreur et de l’éclairage électriques, elle coûte 1.475$, autant qu’une Cadillac Thirty.

1914 chevrolet type l touring

Chevrolet Type L, 1914

Chevrolet produit 5.005 voitures en 1914 et 13.000 en 1915, avec un bénéfice de 1,3 million de dollars. Des accords sont conclus avec Russell Gardner[vi] pour l’assemblage et la vente des voitures sur la zone de St Louis (Missouri) et avec Robert et George McLaughlin au Canada ; Chevrolet n’investit aucun capital dans ces deux sociétés, mais perçoit une participation aux bénéfices. Le succès du lancement de Chevrolet conduit Durant à demander à la famille de banquiers duPont de participer à la capitalisation de sa société. Le 23 septembre 1915, une nouvelle société, la Chevrolet Motors du Delaware, est constituée avec un capital de 20 millions de dollars pour absorber l’ancienne société Chevrolet. Durant propose alors d’échanger 5 actions de Chevrolet contre 1 action de General Motors ; les investisseurs acceptent avec enthousiasme. Après cette opération boursière, Billy Durant peut revenir au conseil d’administration de General Motors pour annoncer : « Messieurs, je contrôle la société ! » Charles W. Nash, qui l’avait remplacé au poste de président, démissionne et fonde sa propre société, la Nash Motor Company. Billy Durant peut désormais proposer sa concurrente de la Ford T.

 

[i]L’anecdote, ici romancée, est authentique.

[ii] Les prix indiqués en dollars peuvent être convertis en euros d’aujourd’hui en les multipliant par 25.

[iii] Les américains utilisent toujours des termes français pour apporter une note de luxe à leurs produits.

[iv] Cette carrosserie est parfois désignée par son appellation de phaéton ou par son appellation anglaise de Tourer ; c’est l’équivalent de la Torpédo française.

[v] Les chiffres de production qui sont cités indiquent les ventes effectuées aux Etats-Unis uniquement.

[vi] Gardner construira des voitures sous son nom entre 1920 et 1931, et il participera à l’aventure de la Ruxton en 1929.

 

 

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