La transition (1958-1959)

1958 : Sculturamic

Pour définir le style des modèles de 1958, Clare MacKichan réunit son équipe de stylistes au General Motors Research Building le 21 juin 1955. En mai 1956, le style définitif est gelé ; il est baptisé ‘Sculpturamic’ ! Les carrosseries sont plus longues, plus larges, plus basses. Elles arborent une calandre en ‘boîte à œufs’, de phares doubles et un pare-chocs embouti avec l’emplacement de la plaque d’immatriculation à l’avant et des ailerons posés à l’horizontale à l’arrière. La gamme comprend 8 carrosseries : 5 à 2 portes (Utility Sedan, Sedan, hardtop Coupe, Convertible Coupe et Station Wagon) et 3 à 4 portes (Sedan, hardtop Sedan et Station Wagon). Leur longueur est de 5,31 m, pour une largeur de 1,97 m et une hauteur de 1,46 m (1,43 m seulement pour le cabriolet ou le hardtop coupé). Pendant ce temps, Harry Barr et son équipe travaillent sur le nouveau châssis en X à l’empattement de 2,98 m et aux voies de 1,49 m. La suspension est désormais assurée par des ressorts hélicoïdaux aux quatre roues, et le pont arrière dispose d’un système de stabilisation de niveau. Une suspension à air est proposée en option. Une barre stabilisatrice est montée sur les modèles V8. Un nouveau V8 fait d’ailleurs son apparition, le ‘Turbo Thrust’ (‘poussée turbo’), un moteur de 5.702 cm3 (348 c.i., 104,9 mm x 82,55 mm) provenant de la gamme des véhicules utilitaires de Chevrolet, mais avec des chambres de combustion redessinées et un taux de compression de 9,5 :1. Equipé d’un carburateur à quatre corps, le Turbo Thrust développe 250 ch. Il est décliné en version ‘Super Turbo Thrust’ avec trois carburateurs double corps qui développe 280 ch. Au cours de l’année de production, cette version est déclinée en une version de 315 ch. grâce à des culbuteurs et des poussoirs modifiés. Le premier ‘small block’ de Chevrolet, le 265, n’est pas reconduit pour 1958. Mais sa version 283 est proposée en trois versions : ‘Turbo Fire’, à carburateur double corps, de 185 ch., ‘Super Turbo Fire’, à taux de compression de 8,5 :1, de 230 ch., enfin ‘Ram-Jet’, à injection et taux de compression de 9,5 :1, de 250 ch. Et évidemment, le bon vieux ‘Blue Flame’ reste le moteur de base, mais son taux de compression est augmenté à 8,25 :1 et sa puissance atteint 145 ch. Chaque moteur peut être accouplé à une des deux boites mécaniques Synchro-Mesh (à 3 vitesses ou à 3 vitesses et overdrive) ou à une des deux boîtes automatiques (Powerglide ou Turboglide).

La gamme est toujours composée de trois modèles, mais Chevrolet remplace les appellations de 150 et 210 par celles de Delray (auparavant utilisée pour la version Coupé de la 210) et de Biscayne (nom de la baie au sud de Miami, utilisé pour le dream car Chevrolet présenté au Motorama de 1955).

Biscayne

Chevrolet Biscayne, 1955

La série Bel Air est poursuivie. La série Delray comprend 5 modèles : Utility Sedan, Sedan 2 portes, Sedan 4 portes, plus les Station Wagon Yeoman[i] à 2 et à 4 portes. La série Biscayne en comprend 4 : Sedan 2 portes et Sedan 4 portes, plus les Station Wagon Brookwood[ii] à 2 et à 4 portes. Et la série Bel Air en comprend 7 : hardtop Coupe (décliné en version Sport et en version Impala), Convertible Coupe (uniquement en version Impala), Sedan 2 portes, Sedan 4 portes, hardtop Sedan et Station Wagon Nomad à 4 portes (appellation reprise du fameux hardtop Station Wagon de la génération précédente).

Impala

Chevrolet Impala, 1956

L’Impala (qui reprend le nom d’un dream car de 1956) apparaît comme la version sportive et à la finition supérieure de la Bel Air ; elle s’en distingue par ses deux groupes de trois feux à l'arrière au lieu de deux (le troisième feu au centre est celui de recul). Elle coûte entre 2.586$ pour la version hardtop coupe à moteur 6 cylindres et 2.841$ en version convertible coupe à moteur V8. La marque vise ainsi une nouvelle catégorie de clients ; ceux des Pontiac qui privilégient l’habitabilité et le confort aux performances ou à la tenue de route. La moins chère des Chevrolet est l’Utility Coupé Delray, à 2.013$.

Dans un marché en retrait de 34% en raison d’une récession qui frappe l’économie américaine, la production chute de 24% à 1.142.460 unités, mais Chevrolet redevient le premier constructeur américain. Les modèles Bel Air représentent plus de 52% du total, les Station Wagon 17%, et les Delray et Biscayne 16% chacun. La Bel Air Impala réalise un joli score de 60.000 exemplaires.

1959 : Slimline

1959 avant 1959 arriere

En octobre de cette mauvaise année, les modèles de 1959 sont présentés au public … et ils arborent à nouveau un nouveau style, le ‘Slimline’. Son origine remonte à la décision de la GM prise en 1957 d’uniformiser les lignes des modèles au sein de la corporation à l’exemple de Chrysler. Les studios de style de chaque division se voient donc contraint de redessiner complètement toute leur gamme un an avant le lancement des modèles dessinés l’année d’avant ! L’empattement du châssis est allongé à 3,02 m. Les carrosseries mesurent 5,36 m de long, 2,03 m de large et 1,42 m de haut. Avec une telle largeur, la banquette avant fait 1,68 m de large, et la banquette arrière 1,66 m ! Cependant, les carrosseries pèsent entre 70 et 90 kg de plus que leurs homologues de 1958… Extérieurement, les nouvelles Chevrolet se caractérisent à l’avant par des phares doubles abaissés qui les font reconnaître en particulier la nuit. Au dessus des phares, le capot arbore deux fentes qui simulent des prises d’air mais qui contiennent en fait les indicateurs de direction. Le pare-brise à double courbure fournit une visibilité exceptionnelle. Le toit repose sur des montants affinés à l’extrême. Enfin, l’arrière est magnifié par des feux en forme d’œil de chat et par un coffre incroyable recouvert des ailerons horizontaux en ‘ailes de mouette’, « assez vaste pour y faire atterrir un Piper Club » selon le mot de l’essayeur Tom McCahill. La gamme comprend 8 carrosseries : 5 à deux portes (Sedan, Utility Sedan, hardtop Coupe, Convertible Coupe et Station Wagon) et 3 à quatre portes (Sedan, hardtop Sedan et Station Wagon). Outre la présence ou non de leur pied milieu, les Sedan et hardtop Sedan se distinguent par le traitement différent de l’arrière du toit : les Sedan ont une vitre de custode qui prolonge la vitre de portière et une lunette arrière classique, alors que les hardtop Sedan reçoivent une lunette arrière panoramique qui revient jusqu’au niveau du pied arrière sur la portière. Mécaniquement, les voitures ont une suspension arrière retravaillée avec l’ajout d’une traverse supplémentaire sur le châssis et d’un bras anti-torsion et d’une barre antiroulis. Désormais par recirculation de billes, la direction est plus précise, mais les efforts de torsion sur les roues sont énormes pour faire tourner d’aussi lourdes caisses. Les freins voient d’ailleurs leur surface croître de 20% pour absorber une telle inertie. Les moteurs sont eux aussi améliorés dans le but premier d’abaisser leur consommation de 5 à 10%. Le vaillant 6 cylindres devient ‘Hi-Thrift’ (haute économie) avec une tubulure d’alimentation et un arbre à cames redessinés et la mise en place de poussoirs hydrauliques (mais très peu de Chevrolet en sont équipées cette année). Le V8 283, qui reçoit également des poussoirs hydrauliques, est décliné en quatre versions : Turbo Fire, à carburateur double corps, de 185 ch., Super Turbo Fire, à carburateur quatre corps, de 230 ch., Special Ram-Jet Fuel Injection de 250 ch. et sa version a arbre à cames et pistons modifiés de 290 ch. Enfin, le V8 348 est lui aussi proposé en quatre versions : Turbo Thrust, à carburateur quatre corps et taux de compression de 9,5:1, de 250 ch., Special Turbo Thrust, à carburateur quatre corps et taux de compression de 11:1, de 300 ch., Super Turbo Thrust, à trois carburateurs double corps et taux de compression de 9,5 :1, de 280 ch. et Special Super Turbo Thrust, à trois carburateurs double corps et taux de compression de 11 :1, de 315 ch. Chaque moteur peut être accouplé à une ou à plusieurs des trois boîtes mécaniques (à trois vitesses courts, à trois vitesse ou à quatre vitesses) et des trois boîtes automatiques (Powerglide (en version normale ou en version pour Corvette) et Turboglide) proposées.

La gamme est toujours articulée autour de trois modèles, mais les appellations sont de nouveau modifiées ; la Delray disparaît au profit de la Biscayne, qui est remplacée par la Bel Air, et la série haut de gamme de la marque prend l’appellation d’Impala ! Chaque série comprend cinq modèles. Utility Sedan, Sedan à 2 et à 4 portes, et Station Wagon ‘Brookwood’ à 2 et à 4 portes pour la série Biscayne. Sedan à 2 et à 4 portes, Sport hardtop Sedan, et deux Station Wagon à 4 portes (Parkwood[iii] et Kingswood) pour la série Bel Air. Sedan 4 portes, Sport hardtop Coupe, Sport hardtop Sedan, Convertible Coupe et Station Wagon à 4 portes ‘Nomad’ pour la série Impala. Les tarifs sont en hausse de 7% par rapport à l’année précédente, et ils s’échelonnent de 2.160$ pour une Biscayne Utility Sedan 6 cylindres à 3.009$ pour une Impala Nomad Station Wagon V8 ; une Bel Air Sedan 4 portes est affichée à 2.504$ en version V8. La production remonte de 28% et atteint 1.462.140 unités, soit à peine 12.000 de plus que Ford.

La Corvette (1958-1959)

Après l’alerte de 1954, Earl et Cole, tout en opérant une mise à jour en 1956 et un replâtrage habile en 1957, élabore une nouvelle Corvette pour 1958. L’allure générale reste proche de sa devancière, mais elle mesure 25 cm de plus en longueur, 5 cm de plus en largeur et elle pèse 90 kg de plus. Extérieurement, la face avant adopte des phares doubles, la grille de calandre perd 4 barres, le capot est équipé de fausses prise d’air et les flancs reçoivent des fausses sorties d’air. Les pare-chocs sont plus enveloppants, et plus résistants. L’habitacle est quant à lui entièrement repensé ; les instruments sont regroupés et une poignée de maintien fait face au passager. Le dessin est légèrement retouché pour 1959 avec la suppression des fausses prises d’air du capot. La suspension arrière est renforcée par des bras tirés. Son tarif est de 3.631$ en 1958 et de 3.875$ en 1959. Malgré la récession, ses ventes augmentent de 45% en 1958 (à 9.168 exemplaires) et encore de 5% en 1959 (à 9.670 exemplaires). Pour la première fois, la Corvette est bénéficiaire ! Son avenir est désormais assuré.

Fin d’une époque.

L’année 1959 est la dernière année du modèle unique pour Chevrolet (considérant que la Corvette est un cas à part). Depuis 1924 en effet, et excepté les années de 1933 à 1936, les différentes ‘Series’ de la marque ne diffèrent entre elles que par leur niveau de finition. A partir de 1960, Chevrolet va se lancer dans la constitution progressive d’une gamme de modèles vraiment différents destinés à tous les secteurs du marché.

Les fameuses années 1950 s’achèvent en effet dans un climat difficile. La récession de 1958, dont les prémices remontent à l’été 1957, a fait chuter les constructeurs américains en favorisant les importations des constructeurs européens comme Volkswagen et Renault. GM réagit d’abord en distribuant des modèles de ses filiales européennes Opel et Vauxhall par les concessionnaires Buick et Pontiac. Ed Cole prépare cependant une réponse américaine à cette situation: la Corvair, qui est présentée au public en janvier 1960.

La première de ces étapes est pourtant involontairement franchie en 1959 avec l’apparition du pick-up El Camino[iv], un modèle de sa gamme utilitaire[v] mais établi sur la base de la Chevrolet Station Wagon 2 portes de 1959, avec l’accastillage de la Bel Air et le tableau de bord et la banquette avant de la Biscayne) ; un ‘cross-over’ avant l’heure !



[i] Aux Etats-Unis, ce terme désigne un paysan, propriétaire d’une exploitation qu’il exploite uniquement avec sa famille.

[ii] Du nom du quartier de Doraville (Georgie) où se situe l’usine de la GM d’Atlanta.

[iii] Du nom de la résidence de la famille McLaughlin, les fondateurs de General Motors of Canada, à Oshawa.

[iv] Du nom de la piste tracée par les missionnaires espagnols entre San Diego et San Francisco à partir de 1683 (aujourd’hui approximativement suivie par l’US Route 101 et la State Route 82).

[v] L’histoire des véhicules utilitaires de Chevrolet sera traitée dans un numéro ultérieur.