Construction d'une gamme II (1967-1973)

Troisième étape : la pony-car.

Le succès de la Mustang ne peut pas laisser insensibles stratèges de Chevrolet. Dès l’été 1964, ils décident de lancer une voiture concurrente et le 21 septembre 1966 : la Camaro[i], développée sur la base de la Chevy II, avec une silhouette basse et sculptée et une ligne de caisse fuyante. La gamme des moteurs comprend des 6 cylindres (3,8 l 140 ch. et 4,1 l 155 ch.) et des V8 (5,4 l 210 et 275 ch. et 5,7 l 295 ch.) avec au sommet le ‘L-35’ (6,5 l 325 ch.). A la fin de 1966, Chevrolet présente la Z-28, une version destinée au championnat Trans-Am avec un moteur 320 (4,9 l 290 ch.). Les prix des Camaro débutent à 2.466$. La Camaro condamne la Corsa et la gamme Corvair est réduite à 5 modèles seulement. La Chevy II arbore une nouvelle grille de calandre. La Chevelle est déclinée en break ‘Concours’, une finition haut de gamme avec décor latéral en imitation bois.

1967 chevrolet chevelle 4 door sedan

Les grandes Chevrolet reçoivent des retouches inspirées par la Buick Riviera de 1963 et son capot en pointe. Enfin, la Corvette Sting Ray poursuit son parcours sans changement. Les normes de sécurité imposées par la loi sur la sécurité routière d’octobre 1966 conduisent Chevrolet à monter une colonne de direction à  absorption d’énergie sur ses modèles 1967. Les évènements sociaux de 1967 (Vietnam, émeutes raciales, …) entraînent un repli de 13% du marché automobile. Chevrolet ne recule que de 9,5% avec 1.782.465 voitures. La Corvair s’effondre de 74%, la Chevy II de 35 %, les grandes Chevrolet de 20%, et même la Corvette connaît une chute de 17% ! La Chevelle se maintient (-3%). Et la Camaro est un succès avec 220.917 exemplaires vendus, dont 602 Z-28.

Un vent de renouveau.

1968 impala sport coupe

L’année 1968 voit arriver les nouvelles Chevy II, Chevelle et Corvette, tandis que la Corvair n’existe plus qu’en coupé et en cabriolet. Désormais désignée Chevy II Nova, la compacte repose sur un empattement allongé à 2,82 m. Sa carrosserie adopte une ligne de caisse échancrée et un arrière fuyant. Disponible seulement en berline et en coupé, elle conserve ses moteurs à 4, 6 et 8 cylindres. La Chevelle change elle aussi de plateforme et adopte deux empattements différents ; 2,84 m pour les 2 portes et 2,95 m pour les 4 portes. Le dessin est basé sur un capot plus long, un arrière plus court et un toit fuyant. Elle est déclinée en Séries 300, 300 Deluxe et Malibu et pour les breaks en Nomad, Nomad Custom et Concours. Le moteur de base est le 6 cylindres 3,8 l 140 ch., et la version Super Sport dispose du V8 ‘396’ (325 ou 350 ch.), qui est proposé sur le pick-up El Camino ! La Camaro change de grille avant et de feux arrière et perd ses déflecteurs de vitres. Les petites retouches des grandes Chevrolet sont appréciables : le pare-choc avant sépare la calandre en deux et le pare-chocs arrière comprend les feux. La Caprice se distingue par ses roues arrière masquées et ses phares rétractables. La nouvelle Corvette Stingray[ii], reprend les lignes de la Mako Shark de 1965, avec un capot plongeant qui se raccorde à une fine calandre, des ailes fortement marquées, un bas de caisse pincé et un arrière tronqué. Les moteurs sont le ‘327’ (300 et 350 ch.) et le ‘427’ (390, 400 et 435 ch.). Chevrolet progresse au rythme du marché (10%) avec 1.963.875 voitures vendues ; l’essentiel de cette progression est due à la nouvelle Chevy II Nova alors que la Corvair s’effondre encore (-43%) et que la Corvette bondit de 25 % en atteignant le record de 28.566 ventes. Enfin alors que la direction des usines d’assemblage des voitures à six places et des camions est transférée à la GM Assembly Division, Chevrolet est chargé de produire une nouvelle petite voiture contre les voitures importées.

La gamme est reconduite pour 1969. La production de la Corvair s’arrête le 14 mai 1969. La Chevy II Nova devient simplement Chevy Nova, et ses portières reçoivent un encadrement des vitres. Les sièges sont équipés de repose-tête et le contact passe sur la colonne de direction. Sa version Super Sport peut recevoir le 350 et même le 396 ! La Chevelle ne connaît pas de modification particulière, sauf la SS396 qui reçoit désormais le V8 402 (6,6 l). Quelques 323 amateurs achètent une version encore plus puissance, la ‘COPO’ équipée du moteur 427 ‘L72’ (7 litres 425 ch.). La partie basse de la caisse de la Camaro est retouchée avec des moulures embouties, tangentes aux arches de roue, une grille de calandre en V et un nouvel arrière. Les grandes Chevrolet présentent une apparence plus massive avec leurs arches de roues elliptiques soulignées d’un léger bombé. Les breaks Impala retrouvent les appellations de Brookwood, Townsman et Kingswood. Les Corvette se reconnaissent par l’inscription Stingray en lettres chromées au-dessus des sorties d’air latérales. Enfin, le Suburban se voir adjoindre une version à empattement court, le Blazer. Alors que le marché reste stable, Chevrolet progresse de 4%. Dans une époque marquée par le développement des muscle car, l’arrêt de la Corvair comme le recul de la Chevy Nova marquent la désaffection du marché pour les compactes. La Chevelle et les grandes Chevrolet semblent bénéficier définitivement des faveurs du public. Nommé directeur général de la division le 1° février 1969, John Z. Delorean (44 ans, ex directeur général de Pontiac) va pourtant présenter deux nouvelles voitures totalement différentes qui préfigurent ce que seront les années 1970.

Quatrième étape : la voiture personnelle.

Le 18 septembre 1969, Chevrolet présente la Monte Carlo[iii], « une voiture de luxe au prix d’une Chevrolet » (3.123$). Etablie sur une base Chevelle à empattement long (2,95 m), elle intègre la nouvelle catégorie des « personnal cars », entre Ford Thunderbird et Cadillac Eldorado. Son capot est le plus long jamais monté sur une Chevrolet (1,83 m !), et elle n’a que deux phares à l’avant. Sa planche de bord est peinte façon bois[iv] et elle n’est propulsée que par des V8 (‘350’, ‘400’ ou ‘454’). Le second évènement de l’année est la nouvelle Camaro, présentée le 26 février 1970. Inspirée par la Jaguar XJ6, c’est un coupé fastback (exit le cabriolet) avec un long capot et un arrière court (recette connue) et un avant proéminent à la calandre renfoncée à maillage en cage d’œufs. Le moteur 6 cylindres de base a maintenant une cylindrée de 4,1 l (250 c.i.), le V8 de série est le ‘307’ et le ‘357’ équipe la Z28. Les autres Chevrolet poursuivent leur route : la Nova reçoit une nouvelle calandre, la Chevelle une allure plus carrée, les grandes Chevrolet perdent leurs pare-chocs englobant en raison du nouveau dessin des ailes, et la Corvette reçoit des nouvelles grilles latérales. Dans une économie toujours perturbée par la guerre au Vietnam et les conflits raciaux, le marché recule de 9%, et Chevrolet chute de 13% en raison d’une grève de neuf semaines qui paralyse les usines à la fin de 1969 ; ce qui provoque le retard de présentation de la Camaro et qui permet à Ford de redevenir le premier constructeur américain. En dehors de la Nova qui double son résultat, et de la Monte Carlo qui débute, tous les modèles sont en retrait. Désormais, les full size ne représentent plus que la moitié des ventes de la marque.

Cinquième étape : la subcompacte selon Ed Cole.

La Vega[v] qui est présentée le 10 septembre 1970 est la plus petite Chevrolet jamais construite (4,31 m de long). C’est une création d’Ed Cole ! Après son départ de Chevrolet, et l’échec de la Corvair, il a repensé son travail sur une base différente, mais comme pour la Corvette, aucune division n’a voulu le suivre. Devenu vice-président de la GM, il l’impose à Chevrolet et forme une équipe qui lui est rattachée pour en assurer le développement. Inspiré par la Fiat 124, le style extérieur est du à Henry Haga qui lui greffe une face avant à la Camaro. Il la décline en coupé 2 portes à coffre (notchback), coupé à hayon (hatchback), et break ‘Kammback’[vi]. Mécaniquement, son 4 cylindres en aluminium à soupapes en tête de 2,3 l et 90 ch. contraste avec son architecture à propulsion. Elle est proposée à partir de 2.090$.

L’arrivée de la Vega fait perdre à la Novason 4 cylindres, alors que l’augmentation des tarifs d’assurance lui fait perdre son V8 ‘396’. Les Chevelle et Malibu reçoivent une nouvelle face avant avec deux phares seulement, à la Monte Carlo. La Camaro est équipée de sièges à repose-tête intégrés. Et ce sont les grandes Chevrolet qui sont le plus modifiées avec un empattement allongé à 3,09 m (et 3,17 m pour les breaks), des carrosseries agrandies et élargies, et une face avant avec une calandre en « cage d’œufs » qui les font ressembler aux Cadillac de l’année précédente ! La Monte Carlo adopte une nouvelle calandre et un emblème de capot. Tous les moteurs voient leur taux de compression réduits pour s’adapter au nouveau carburant sans plomb, le seul compatible avec les pots catalytiques que la nouvelle loi sur la qualité de l’air[vii] impose à partir de 1975. La production est à nouveau perturbée par une grève de 67 jours, et l’ensemble du marché automobile stagne en 1971 en raison d’une situation économique morose[viii]. Mais grâce à la Vega, Chevrolet voit ses ventes croître de 16%.

Changement de norme.

En 1972, la SAE[ix] fait mesurer la puissance des moteurs avec les accessoires et les échappements de série. Tous les chiffres chutent ainsi de 30% en moyenne. La perte va de 10 ch. pour le 4 cylindres 2,3 l de la Vega (80 ch. au lieu de 90) à 130 ch. pour le V8 de 5,7 l (200 ch. au lieu de 330) ! Côté nouveautés, la Vega est équipée d’un couvercle de boîte à gants (!) et elle est épaulée par une version GT d’allure sportive, la Nova peut recevoir le toit ouvrant souple Skyroof et les Chevelle/Malibu se reconnaissent par leurs combinés feux de position/clignotants sur la tranche des ailes avant et par leur calandre à deux barres horizontales. La Camaro reçoit une nouvelle calandre et des ceintures de sécurité à 3 points. La longueur des grandes Chevrolet atteint 5,59 m (5,74 m pour les breaks) avec un dessin en étrave de la face avant. Désignée comme ‘la voiture de luxe la plus abordable’ du marché, la Monte Carlo reçoit une face avant simplifiée, avec les clignotants sur les côtés d’une calandre redessinée, alors que sa version Super Sport est supprimée.

1972 chevrolet monte carlo

Enfin, côté SUV, le Suburban et le Blazer sont secondés par un modèle plus petit : le LUV[x] … un Isuzu Faster japonais rebadgé ! Dans un marché en hausse de 20%, Chevrolet grimpe de 35% et atteint le record historique de 2.776.510 voitures. L’Impala reste la première voiture américaine vendue avec près d’un million d’unités. En revanche, la Camaro s’effondre de 40% avec moins de 69.000 ventes, en partie en raison d’une grève à l’usine de Norwood (Ohio)[xi]. Le 1° octobre 1972, DeLorean est nommé vice-président du groupe automobile General Motors et il est remplacé par Francis James ‘Jim’ McDonald, qui lui avait déjà succédé à la tête de Pontiac en 1969.

Pare-chocs indéformables.

Pour 1973, la loi impose le montage de pare-chocs capables de résister à un choc à 8 km/h à l’avant et à 4 km/h à l’arrière. Cela donne une nouvelle allure aux voitures avec des pare-chocs avant plus ou moins bien réussis. Par ailleurs, les normes antipollution plus sévères réduisent encore un peu la puissance des moteurs. Enfin les roues sont équipées de pneus radiaux. La Monte Carlo est entièrement redessinée avec des lignes très sculptées, une calandre proéminente, des phares ronds, des ailes détachées et un pavillon à opera windows, ces petites vitres de custode qui rappellent les fenêtres des portes des loges dans un opéra. La face avant de la Nova est retouchée, et sa carrosserie hatchback reçoit un hayon qui va du dessus des feux arrière au somment de la lunette arrière. La calandre des Chevelle/Malibu est prolongée en dessous des phares. Le duo est épaulé par une variante à finition plus cossue ; la Laguna. Signe des temps, le cabriolet n’est pas reconduit et l’équipement Super Sport est disponible sur les breaks ! Pour la Camaro, qui se décline en version LT (Luxury Touring) plus confortable, l’intégration des nouveaux pare-chocs est remarquable : plus proéminents qu’avant, ils conservent cependant leur aspect antérieur. La gamme des grandes Chevrolet est reconduite sans la Biscayne. Enfin, la Corvette est équipée d’un bouclier avant déformable peint dans la couleur de la caisse et parfaitement intégré à la ligne de la voiture. L’année 1973 est une année record pour la production américaine qui dépasse 10,7 millions d’unités (+13%) ! Pourtant, Chevrolet n’en profite pas ; sa production n’augmente que de 2% à 2.830.633 unités. Il faut dire que Pontiac (+30%)  lui livre une guerre des prix sans merci et que les acheteurs sont plus nombreux à se tourner vers Oldsmobile (+21%), Buick (+21%) et Cadillac (+14%). La nouvelle Monte Carlo est un succès, la Camaro regagne du terrain et la Corvette progresse. Les petites Chevrolet se portent bien également mais les intermédiaires reculent de 2% et les grandes Chevrolet de 10 % (soit 137.859 exemplaires de moins) !

 

[i] Quand les communicants de Chevrolet ont expliqué qu’il s’agissait d’un vieux mot français (!) signifiant ami ou compagnon, leurs homologues de Ford leur ont fait savoir qu’il s’agissait plutôt d’un mot espagnol désignant une petite crevette ; l’histoire amusa beaucoup les journalistes, surtout quand l’un d’entre eux trouva que le mot pouvait aussi désigner des « intestins lâches » !

[ii] En un seul mot désormais.

[iii] Clin d’œil appuyé à la Riviera de Buick !

[iv] Le catalogue indique que « seules les termites sont capables de faire la différence ».

[v] Vega est l’étoile la plus brillante du ciel vue depuis l’hémisphère nord ; captivé par la culture française, Cole se serait-il inspiré de la flamboyante Facel Véga de Jean Daninos ?  

[vi] Le terme Kammback se réfère aux travaux de l’aérodynamicien allemand Wunibald Kamm (1983-1966) qui dès 1938, sur une BMW 328, préconisait de dessiner des carrosseries à l’arrière tronqué pour réduire leur résistance à l’air (la Citroën C4 coupé est une belle illustration actuelle de ce concept).

[vii] La Clean Air Act, votée en 1963, et amendée en 1970 , 1977 et 1990.

[viii] Le 15 août 1971, le président Nixon supprime la convertibilité du dollar en or (déclenchant ainsi la crise des ‘monnaies flottantes’) avant de décréter 90 jours de blocage des prix, des salaires et des taux d’intérêts, mesures qui lui permettent de financer la guerre du Viet Nam.

[ix] Society of Automotive Engineers (société des ingénieurs de l’automobile), l’équivalent du DIN allemand ou de l’UTAC français.

[x] Light Utility Vehicle : véhicule utilitaire léger.

[xi] La répétition de ces grèves à la GM au début des années 1970 est le résultat du transfert des usines de fabrication des carrosseries des divisions et de Fisher à la GMAD (General Motors Assembly Division) qui se traduit par des licenciements en masse (800 chez Chevrolet en 1972) pour réduire les coûts.

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