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AMC Matador

AMC Matador

(1971-1978)

 Clip black and white

Le 14 novembre 1991, à la fin du clip Black or White[i], Michael Jackson s’en prend à une banale voiture américaine des années 1970 ; il brise à coup de coude la vitre arrière gauche, puis la vitre conducteur (taguée d’une croix gammée), il monte sur le coffre, saisit un club de golf et brise la lunette arrière (sur laquelle est inscrit ‘nigger go home’) en trois coups, fait de même avec le pare-brise (marqué lui ‘no more wetbacks[ii]’), danse sur le toit, saute sur le capot, se saisit du volant (!) qu’il jette contre une vitre taguée ‘KKK’ (scène qu’il réédite sur scène lors de la célébration des 10 ans de MTV en 1991 avec le groupe Guns N Roses, dont le guitariste Slash a écrit le solo de Black or White). Controversée par les esprits pudibonds, cette séquence, où l’artiste montre ses talents de danseurs en hommage à Gene Kelly et à Fred Astaire, est avant tout un cri de révolte contre le racisme et l’antisémitisme.

Mais quelle est cette voiture ? Ce qui apparaît comme une vulgaire machine à rouler se révèle être, indirectement, un symbole du mouvement des droits civiques. Pour son constructeur, elle est l’ultime tentative de concurrencer les 3 Grands sur le marché des intermédiaires. De plus, sa version coupé de 1974 est saluée par la critique comme un des plus beaux dessins des années 1970. Retraçons donc la carrière de cette bête à rouler typique des années 1970 ; l’American Motors Matador.

Origines.

George w romney 

En 1956, George Romney, président d’American Motors, décide de supprimer les marques historiques Nash et Hudson pour se concentrer sur la seule Rambler. Dès 1958, il élargit sa gamme à la petite American et à la grande Ambassador, anticipant ainsi la politique que les 3 Grands adoptent au milieu des années 1960[iii]. La Rambler atteint une diffusion de 315.000 exemplaires en 1960 et AMC devient le 3° constructeur américain en 1963 ! En janvier 1962, Romney quitte son poste pour poursuivre une carrière politique[iv]. Il est remplacé par son directeur des ventes, Roy Abernethy. Comprenant le retournement du marché vers des voitures plus grandes, Abernethy fait grandir la Classic (nouveau nom de la Rambler) de 15 cm pour concurrencer les nouvelles Ford Fairlane et Chevrolet Chevelle, et il lui adjoint une version coupé avec la Marlin. Malheureusement les ventes s’effondrent. En 1967, la Classic devient Rebel et elle grandit encore de 5 cm.

Roy d chapin jr

Le nouveau président d’AMC, Roy Chapin Jr. prend les rênes d’une société qui continue de perdre des parts de marché et de l’argent. Tout en lançant des modèles sportifs comme la Javelin et l’AMX, Chapin anticipe un retour des acheteurs vers les modèles compacts, voire subcompacts ; les maigres ressources du groupe sont alors attribuées au développement de la Hornet et de la Gremlin. Mais Chapin ne renonce pas au modèle qui a fait les beaux jours du groupe.

I. Première génération (1971-1973).

1971 sedan

Proposée en trois carrosseries (berline à 4 portes, break à 5 portes et coupé 2 portes sans montant), la Matador succède à la Rebel. Et même si le service commercial d’AMC essaie de vendre un produit nouveau, la Matador est bien une Rebel redessinée, avec un avant plus long, en plastique. L’appellation Matador n’est pas inconnue pour AMC qui l’a déjà utilisée pour désigner une teinte de rouge dans son nuancier de couleurs.

1967 publicite amc couleur matador

Son choix pour désigner le modèle tient à une volonté de rapprochement phonétique avec l’Ambassador. De plus, dans cette Amérique du début des années 1970 secouée par des émeutes sur fond de mouvement des droits civiques, le temps semble opportun d’abandonner l’appellation précédente de Rebel (introduite en 1958[v] quand elle exprimait une forme de rupture avec les règles établies) à la connotation politique fortement marquée[vi]. Le choix s’avère bon ; des sondages montrent que l’appellation sous entend des valeurs de virilité et de plaisir pour les acheteurs, même si American Motors connaît un léger souci à Porto-Rico[vii] où le nom est synonyme d’assassin ! Toutefois, le changement d’appellation ne permet pas de surmonter le manque de visibilité du modèle sur le marché. AMC s’interroge d’ailleurs maladroitement à ce sujet en lançant une campagne de publicité sur le thème: « Qu’est-ce qu’une Matador ? »

Une intermédiaire typique.

1971 hardtop coupe

La Matador est établie sur la plateforme[viii] raccourcie du modèle supérieur, l’Ambassador, dont elle reprend la carrosserie du pied du pare-brise jusqu’à l’arrière. La réduction de la plateforme concerne la partie avant qui distingue ainsi les deux modèles, l’Ambassador recevant une partie avant en acier, une calandre plus statutaire et une finition plus luxueuse. Le dessin de la voiture est l’œuvre du studio de style d’AMC dirigé par Richard A. Teague[ix].

Richard a teague

Il s’agit d’une voiture trois corps de 5,23 m de long sur 1,96 m de large au style carré avec quelques lignes courbes pour adoucir le bord du capot, le pavillon de toit et le bord du coffre. L’avant se caractérise par un jonc chromé qui ceinture le bout des ailes et le capot en complément du pare-chocs, à la façon des Chrysler d’alors. La calandre, très simple avec sa barre horizontale peinte dans le ton de la caisse, est encadrée par deux paires de phares et elle donne naissance à trois nervures de capot qui se prolongent en ligne bien droite jusqu’au bord du pare-brise. Les clignotants prennent place sous le pare-chocs. Une inscription "Matador" est placée sur le capot au dessus de la calandre, côté conducteur. Le profil affiche un décrochement de la ligne de caisse qui part du bord supérieur du jonc de la calandre, suit la ligne du capot jusqu’au montant du pare-brise et s’élance vers la base du pavillon de toit, avant de redescendre le long du coffre pour former un très léger aileron. Une autre inscription "Matador" est placée sur le montant de custode. Le passage de roue arrière est réduit à hauteur de la jante, de façon à permettre le passage rectiligne d’une baguette chromée du jonc de la calandre jusqu’au pare-chocs arrière. Les vitres avant comportent des déflecteurs triangulaires, les vitres arrière ont une forme rectangulaire Les poignées de porte sont intégrées à la carrosserie, les essuie-glaces sont apparents. A l’arrière, le panneau de bas de coffre est chromé pour s’intégrer visuellement au pare-chocs. Il comprend les feux répartis en deux blocs de 3 optiques ; une grille rejoint les deux blocs et un jonc chromé ceinture le panneau en écho à la face avant. La plaque d’immatriculation prend place sous le pare-chocs. L’habitacle est vaste ; il accueille 6 passagers qui disposent de 1,50 m de largeur aux coudes comme aux épaules, 1,08 m d’espace aux jambes à l’avant et 1 m à l’arrière, et une garde au toit de 1 m à l’avant et de 95 cm à l’arrière. Le coffre a un volume de 515 litres. Le coupé reprend la caisse de la berline mais avec seulement deux portes allongées à l’arrière et une courbure de pavillon plus prononcée qui s’achève sur un montant de custode à ligne triangulaire, à la Gremlin. Le pied milieu est supprimé, ce qui donne à la voiture une belle surface vitrée latérale. De fait, le décrochement de la ligne de caisse est supprimé, remplacé par une ligne horizontale qui ne décroche qu’à hauteur du montant de custode.

1971 station wagon

Le break reprend également la caisse de la berline mais avec un porte-à-faux arrière plus court de 4 cm (ce qui porte la longueur à 5,20 m seulement) et une troisième vitre latérale qui prolonge la ligne du toit à l’horizontale. Pour donner du dynamisme à l’ensemble, le pied de custode et le pied arrière sont inclinés vers l’avant et le toit est équipée de deux barres chromées qui vont du pied milieu jusqu’au pied arrière. Le hayon est constitué d’une large porte à double système d’ouverture ; de la droite vers la gauche pour un accès facile du coffre depuis le trottoir, et après avoir au préalable abaisser la vitre, vers le bas pour servir d’extension au plancher. Ce hayon est en cadré par les blocs verticaux des feux arrière. Banquette arrière baissée, le coffre offre un volume de 2.800 litres. En option, il peut être équipé d’une troisième banquette repliable ; les deux enfants à qui elle est destinée voyagent cependant face à la route, dans le sens inverse de la circulation[x], et les bagages ne peuvent alors qu’être placés sur la galerie de toit !

1977 station wagon 3 banquette

Il peut aussi être équipé de panneaux latéraux simili bois ; le décor ne recouvre qu’une partie du flanc dans un superbe mouvement de vague partant du haut de l’aile avant pour s’incurver en dessous de la clenche de la porte avant vers le passage de roue arrière avant de se prolonger jusqu’aux feux arrière.

Au niveau mécanique, la Matador est une propulsion à essieu arrière rigide et suspension par ressorts hélicoïdaux. Le freinage est assuré par des freins à disque à l’avant et à tambours à l’arrière. Elle reçoit en série le moteur à 6 cylindres en ligne "Typhon" de 3,8 litres (232 c.i.)[xi] de 135 ch. accouplé à une boîte de vitesses mécaniques à 3 rapports à commande au volant. Pour la Californie, où la législation contre la pollution est plus sévère, le moteur de série est un V8 de 5 litres (304 c.i.) de 210 ch. accouplé à une boîte automatique à 3 rapports Borg Warner désignée sous l’appellation de Shift Command. En option, l’acheteur peut choisir la version de 4,2 l (258 c.i.) de 150 ch. du 6 cylindres avec la boîte mécanique ou automatique et un V8 de 5,9 litres (360 c.i.) en deux versions (245 ou 285 ch.) avec la boîte automatique[xii]. Les amateurs de muscle cars peuvent demander quant à eux que leur coupé soit livré en finition The Machine, avec l’un des V8 de 5,9 litres ou un V8 de 6,6 litres (401 c.i.) à bielles et vilebrequin en acier forgé[xiii], une boîte de vitesses mécaniques à 4 rapports avec sélecteur au plancher, une suspension renforcée, des freins à disque à l’arrière, des jantes de 15 pouces en forme de turbine, des pneus radiaux marqués en lettres blanches, et deux sorties d’échappement. Mais contrairement à son prédécesseur Rebel, la Matador The Machine se fait plus discrète en perdant les bandes bleu blanc rouge, les inscriptions et les badges spécifiques. Une cinquantaine seulement de Matador The Machine sont fabriquées (une seule existe encore aujourd’hui).

1971 the machine

Quelle que soit sa version, la Matador est une voiture assez légère ; de 1.436 kg pour une berline 6 cylindres à 1.631 kg pour un break V8. Un modèle V8 pèse 72 kg de plus qu’un modèle 6 cylindres, un coupé pèse 16 kg de plus qu’une berline et un break pèse 123 kg de plus qu’une berline. Les tarifs de base[xiv] vont de 2.770$ pour une berline 6 cylindres à 3.493$ pour un break V8[xv] ; les coupés valent 29$ de plus que les berlines. Les versions à moteur V8 coûtent 330$ de plus que leurs homologues à moteur à 6 cylindres (soit 10 à 12% de plus). Mais même si le marché américain des intermédiaires connaît un certain repli en ce début des années 1970 au profit des modèles compacts et subcompacts, comme la Hornet et la Gremlin, l’accueil du public n’est pas renversant. Ce n’est pas encore une bronca, mais la production de l’année modèle n’atteint que 45.789 unités, un résultat inférieur à celui de la Rebel. La Matador compte alors pour 18% des ventes d’AMC et elle a une part de 0,58% du marché américain ; il se vend 7 fois plus de Chevrolet Chevelle.

Une garantie de première.

1972 sedan 

Après une seule année d’existence, la version The Machine n’est pas reconduite et la boîte mécanique à 4 vitesses est abandonnée. En apparence, la Matador reçoit très peu de modifications ; la barre horizontale de la calandre est supprimée, remplacée par un maillage plus classique à 8 barres horizontales et 3 barres verticales. A l’arrière, le jonc chromé disparaît et les blocs optiques comprennent 9 feux chacun. La dotation de série est cependant plus riche et les équipements mécaniques sont fiabilisés. American Motors a en effet mis en place une démarche qualité pour s’assurer de ses approvisionnements en pièces détachées ; leur nombre a été réduit, et la qualité de leur fabrication a été améliorée. La boîte automatique Borg Warner est ainsi remplacée par une Torqueflite à 3 rapports de chez Chrysler, qu’AMC désigne sous l’appellation de Torque Command (l’acheteur peut choisir entre une commande au volant ou au plancher). AMC présente alors son "plan de protection de l’acheteur" (AMC Buyer Protection Plan), la première garantie de 12 mois ou 12.000 miles (19.308 km) de l’industrie automobile américaine. La marque s’engage ainsi auprès de ses clients à réparer tout équipement en panne sur la voiture (à l’exception des pneus) sur simple appel téléphonique à un numéro gratuit en proposant au besoin une voiture de remplacement si la réparation dure plus d’une journée. L’objectif est de réduire le nombre d’interventions au titre de la garantie, autant que d’améliorer les relations publiques et d’accroître le niveau de satisfaction et de fidélité des clients. L’année 1972 marque aussi une évolution de la norme SAE pour la détermination de la puissance des moteurs. Jusqu’à présent, les moteurs étaient testés sur banc sans aucun de leurs accessoires. Désormais, le moteur est équipé de ses principaux accessoires. Les chiffres de puissance chutent ainsi fortement. Les 6 cylindres affichent maintenant 100 ch. pour le 3,8 l et 110 ch. pour le 4,2, alors que les V8 affichent 150 ch. pour le 5 l, 175 et 195 ch. pour les 5,9 l et 225 ch. pour le 6,6 l.

1972 hardtop coupe catalogue canadien

Si les tarifs de base des berlines et des coupés 6 cylindres restent stables (14$ de plus seulement pour la berline), ceux des modèles V8 et des breaks diminuent de 7% (soit 254$ de moins pour un break V8). La production de l’année modèle augmente de 20% et atteint 54.813 exemplaires (soit 21% des ventes d’AMC, et toujours 0,58% du marché américain), mais malgré tout, cela reste bien insuffisant pour simplement amortir les frais de développement ! Roy Chapin Jr. et Gerald C. Meyers, le vice-président pour le développement des produits, n’attendent pas la fin de l’année pour réunir leur équipe et analyser la situation. Leur conclusion est de retoucher le dessin de la berline et du break pour leur donner une allure plus dynamique, et de donner au coupé une allure plus stylée dans la lignée des nouvelles Chevrolet Camaro et Pontiac Firebird. Richard Teague confie alors le style extérieur à Robert Nixon et le style intérieur à Vince Geraci.

Une bonne affaire méconnue.

1973 sedan

L’année modèle 1973 est celle de l’application des nouveaux règlements fédéraux sur la sécurité passive (US National Highway Traffic Safety Administration, NHTSA) qui exigent que les voitures résistent à des chocs de 8 km/h à l’avant (5 mph) et de 4 km/h à l’arrière (2,5 mph) sans le moindre dégât au moteur, aux phares, aux feux et aux équipement de sécurité. La Matador reçoit donc des pare-chocs avant et arrière plus massifs. Le pare-chocs avant est monté sur des amortisseurs télescopiques et reçoit des gardes verticaux plus proéminents, tandis que le pare-chocs arrière est équipé de gardes verticaux en caoutchouc noir à la place des modèles optionnels chromés précédents. La longueur des voitures croît ainsi de 7 cm. La grille de la calandre est à nouveau retouchée avec une segmentation en 12 blocs rectangulaires sur fond noir rehaussés d’une barrette de chrome en leur milieu. Les blocs optiques arrière reviennent à un dessin à 3 feux chacun. Une nouvelle version du V8 de 5,9 l est proposée en option, forte de 220 ch. et le 6,6 l voit sa puissance croître à 255 ch. Le moteur de série est toujours le 6 cylindres de 3,8 l de 100 ch., sauf pour le break qui a droit au 4,2 l de 110 ch. au vu de sa masse plus importante. Les modèles prennent en effet du poids, de 47 kg pour un coupé 6 cylindres à 73 kg pour un break V8. Les tarifs augmentent de 69$ pour les berlines et les coupés, et de 39$ pour les breaks. Mais la production baisse de nouveau et passe en dessous de 50.000 unités ; elle ne représente plus que 12% des ventes d’AMC et sa part du marché américain s’est réduite à 0,47%.

1973 sedan vue arriere 1973 tableau de bord

La revue Popular Mechanics publie un sondage qui montre que les propriétaires des Matador de 1973 sont plus satisfaits et qu’ils rencontrent moins de problèmes que ceux des Rebel de 1970. La même étude fait part des consommations relevées par les propriétaires de Matador ; elles s’établissement en moyenne à 13,9 l/100 km pour le 6 cylindres de 3,8 l, à 15 l pour le 6 cylindres de 4,2 l, à 16,8 l pour le V8 de 5 l et à 18,5 l pour le V8 de 5,9 l ; la consommation la plus basse revient au 6 cylindres de 3,8 l avec 13,1 l/100 km sur route, et la plus élevée au V8 de 5,9 l avec 20,5 l en ville. De son côté, dans son numéro spécial salon, Automobile Quaterly indique que : « AMC dispose actuellement d’une très bonne gamme, mais le public ne semble pas en avoir connaissance. […] La Matador est devenue une voiture de gamme moyenne exemplaire, une parfaite concurrente des Plymouth Satellite/Dodge Coronet ou des Ford Torino/Mercury Montego ». Elle constitue une « bonne affaire ». Quelques clients aux goûts bien spécifiques semblent toutefois en avoir conscience. Le service de police de Los Angeles (Los Angeles Police Department, LAPD) acquiert une importante flotte de voitures de patrouille Matador entre 1972 et 1974. Grâce à leur V8 de 6,6 l (401 c.i.) "haute performance", ces voitures surpassent leurs concurrentes ; le 0 à 96 km/h (0 à 60 mph) est abattu en moins de 7 secondes (une performance égalisée seulement par la Dodge Hemi Charger en 2006 !) et la vitesse maximale de 201 km/h est atteinte en 43 secondes, bien plus vite que les Plymouth Satelitte utilisées précédemment. L’autre service de police de Los Angeles, le Los Angeles Sheriffs Department (LASD), s’équipe lui aussi de Matador, tout comme d’autres services de police aux Etats-Unis et au Canada, et des unités de la police militaire. Certaines Matador du LAPD restent en service jusqu’au milieu des années 1980

La premiere matador du lapd

II. La berline et le break de seconde génération (1974–1978)

Les nouveaux modèles sont présentés à l’automne 1973 et la série Matador est scindée de fait en deux sous-séries. En effet, si la berline et le break conservent les grandes lignes de leurs prédécesseurs, au point qu’il peut paraître abusif d’évoquer à leur égard une nouvelle génération, le coupé s’en démarque tellement qu’il constitue bien quant à lui une seconde génération. Mais l’investissement de 40 millions de dollars accordé pour développer ce coupé est énorme pour le plus petit des grands constructeurs américains qui ne peut pas alors renouveler l’Ambassador. La Matador devient donc le modèle supérieur d’American Motors.

Un nez de cercueil.

1974 sedan

Longue de 5,49 m, large de 1,92 m et haute de 1,39 m, la berline Matador reprend le profil précédent dans ses grandes lignes mais avec une face avant entièrement remaniée. La calandre adopte une forme proéminente et elle est encadrée par deux phares simples, à la Chevrolet Monte Carlo ; les combinés feu de position/clignotant, entourés d’un enjoliveur chromé, s’intercalent entre les phares et la calandre. La grille de calandre est scindée en deux parties, chacune recevant 35 petites barres verticales. Un jonc chromé ceinture toujours le pourtour de la face avant.

1974 sedan vue calandre

La forme de la calandre se reporte à nouveau sur le capot mais les nervures sont plus prononcées qu’auparavant et elles partent en étrave. Certains critiques évoquent ce dessin comme celui d’un cercueil[xvi] ! Le profil est inchangé, mais la baguette de protection est abaissée ; elle part désormais du haut du passage de roue avant pour se prolonger jusqu’au pare-chocs arrière. Le panneau arrière est entièrement remanié et reçoit la plaque d’immatriculation en son milieu et deux blocs optiques rectangulaires de part et d’autre ; chaque bloc abrite 4 feux. Enfin, l’avant et l’arrière de la voiture sont surchargés par les imposants pare-chocs imposés par le NHTSA qui exige que les pare-chocs avant et arrière aient la même hauteur, les mêmes angles d’attaque et qu’ils résistent à un choc à 8 km/h (5 mph) sans se déformer. Le pare-choc avant suit la ligne avancée de la calandre ; deux gardes verticaux en caoutchouc noir sont posés à l’aplomb des bords de la calandre. Toujours au titre de la sécurité passive, d’imposants clignotants sont installés sur les ailes avant et sur les ailes arrière. Enfin, conformément aux nouvelles règles, les voitures sont équipées d’une alarme qui demande aux passagers avant d’attacher leur ceinture de sécurité avant de démarrer. La version break est réalisée sur la même caisse avec un  porte-à-faux arrière allongé de 3 cm (5,52 m de long) et une troisième vitre latérale qui prolonge la ligne de toit et qui épouse la courbure de la ligne de caisse, moins marquée ici que sur la berline. Comme précédemment, l’allure du break est dynamisée par des barres de toit chromées qui relient le pied milieu au montant de hayon. La version « woody » reçoit des panneaux qui occupent désormais toute la hauteur des flancs, de la baguette latérale qui rejoint les pare-chocs jusqu’à la ligne de ceinture de caisse.

1974 station wagon

Ces changements cosmétiques font prendre une soixantaine de kilos aux modèles qui pèsent désormais entre 1.554 kg pour une berline 6 cylindres et 1.780 kg pour un break V8. Mécaniquement, ces nouvelles Matador reprennent l’architecture des anciens modèles. Elles sont équipées en série du moteur à 6 cylindres de 3,8 l (4,2 l pour le break) accouplé à la boîte de vitesses mécaniques à 3 rapports, ou du V8 de 5 l accouplé à la boîte automatique en Californie, et elles peuvent recevoir en option le 6 cylindres de 4,2 l et les V8 de 5,9 l de 175 ou de 195 ch. et la boîte automatique[xvii]. Le V8 "401" est proposée une dernière fois pour les seules berlines destinées à la police. Il s’agit d’ailleurs des dernières Matador achetées par le LAPD ; l’allongement de leur porte-à-faux avant et l’augmentation du poids sur le train avant qui en résulte dégrade en effet leur tenue de route et leurs performances. Ces Matador de police apparaissent dans un certains nombre de séries télévisées et de films des années 1970 et 1980, les plus célèbres étant les épisodes de la première saison de la série The Rockford Files (« 200$ plus les frais ») en 1974, ceux des Dukes of Hazard (« Shérif, fais moi peur ») en 1979-1980, ou encore le premier épisode de Police Academy.

Au niveau des tarifs, la Matador subit une inflation de 7%, soit 200$ ; une berline 6 cylindres coûte 3.052$ et un break V8 3.477$. Les versions à moteur V8 ne coûtent que 99$ de plus que celles à moteur 6 cylindres (3%). Un compte rendu d’essai d’un break Matador de 1974  « loue ses performances, sa tenue de route et sa consommation d’essence modérée compte tenu de sa taille et de son moteur de 5,9 l. », et le décrit comme « un véritable pullman. Ses performances le classent au premier rang de sa catégorie, avec un tarif raisonnable. »  Malgré ces qualités, la Matador demeure confidentielle ; la production de l’année modèle 1974 poursuit son déclin et n’atteint que 37.406 exemplaires (27.697 berlines et 9.709 breaks), soit 8,6% des ventes d’AMC pour une part de marché de 0,43%.

Plus de plomb.

1975 sedan brougham 1

AMC se concentrant sur le développement et le lancement de la nouvelle Pacer en 1975, les changements sont mineurs sur la Matador, qui reçoit une nouvelle calandre à 12 barres horizontales et 9 barres verticales (ces dernières uniquement sur la partie proéminente), et des clignotants rectangulaires. Les constructeurs américains devant adapter leurs modèles aux nouvelles règles d’antipollution qui nécessitent l’utilisation de l’essence sans plomb et d’un pot d’échappement catalytique, les Matador sont désormais équipés en série de l’injection électronique développée par Prestolite[xviii]. Une étiquette indiquant "Essence sans plomb uniquement" (Unleaded Fuel Only) est apposée au dessus de la trappe de remplissage du réservoir et sur la jauge d’essence pour le rappeler aux conducteurs et aux pompistes (essence ordinaire à propos). Mais le choix des moteurs est réduit de moitié. Désormais, le moteur de série est le 6 cylindres de 4,2 l et 110 ch., ou le V8 de 5 l et 150 ch. en Californie, et il n’y a plus qu’une seule option, le V8 de 5,9 l et 175 ch. Enfin, des pneus radiaux à ceinture d’acier sont désormais montés en série, gage d’une meilleure tenue de route. Tous ces changements entraînent une prise de poids de 50 à 70 kg en fonction des modèles ; une berline 6 cylindres pèse donc 1.627 kg et un break V8 1.832 kg.

1975 sedan vue arriere

Les tarifs connaissent une inflation de 13%, ce qui représente 400$ de plus pour une berline (soit 3.452$ pour une 6 cylindres) et 466$ pour un break (soit 3.943$ pour un V8). La production totale de l’année modèle recule légèrement de 0,5% pour s’établir à 37.214 exemplaires (27.522 berlines et 9.692 breaks). C’est une assez bonne nouvelle pour AMC dont les ventes se sont effondrées de 44% dans un marché en recul de 19% ! La part de marché de la Matador remonte ainsi à 0,53%, pour un total de 15% des ventes d’AMC.

Moins de puissance.

1976 sedan

La Matador poursuit sa carrière sans changement notable, même la calandre n’est pas modifiée (et elle ne sera plus jusqu’à la fin). La puissance des moteurs décroît à nouveau, sous la double contrainte des règles anti-pollution et des normes d’économies de carburant. Le 6 cylindres de 4,2 litres ne développe plus que 95 ch. et il disparaît de dessous du capot du break. Le V8 de 5 litres voit sa puissance se réduire à 120 ch. et le V8 de 5,9 litres à 140 ch. ; mais les acheteurs du break qui prennent l’option du 5,9 l reçoivent une version de 180 ch.. Il n’est alors pas surprenant de constater que 88% des acheteurs choisissent un V8 plutôt que le 6 cylindres. D’ailleurs, les ventes de break augmentent de 14% (à 11.049 unités) malgré une augmentation du tarif de 11% à 4.373$ ! Malheureusement, et bien que ses tarifs n’aient augmenté que de 5% (soit 180$ de plus, à 3.627$ pour une 6 cylindres), les ventes de la berline continuent de décliner (-12% à 24.292 unités) et le résultat global est en retrait de 5%, à 35.341 unités, dans un marché qui remonte de 23%, ce qui fait reculer la part de marché de la Matador à 0,41%. Il se vend désormais 8 fois plus de Chevrolet Malibu que de Matador.

1976 station wagon

En fait, la situation globale d’American Motors se dégrade malgré des ventes en progression de 13%. D’abord parce que pour tenter de maintenir le niveau des ventes, les rabais consentis sur le prix des voitures atteint jusqu’à 600$ par voiture, ce qui représente 15% du tarif initial. Ensuite, parce qu’un problème sur les sondes de contrôle de pollution oblige le groupe à rappeler toutes les Matador commercialisées en dehors de Californie, ce qui lui coûte plus de 3 millions de dollars. Au bilan de l’année, les pertes d’AMC s’élèvent ainsi à 46,3 millions de dollars.

L’estocade.

1977 habitacle avant

Pour 1977, la boîte mécanique à 3 vitesses est abandonnée. Désormais, toutes les Matador reçoivent la boîte automatique à 3 rapports en série, ce qui entraîne une nouvelle prise de poids (56 kg pour une berline 6 cylindres). La puissance des moteurs retrouve quelques chevaux (le 6 cylindres développe 98 ch. et le V8 de 5 l 126 ch.) mais le V8 de 5,9 l de 180 ch. disparaît. Toujours pionnier dans le service au client, AMC propose son 2° plan de protection de l’acheteur (Buyer Protection Plan II) qui garantit le moteur et la transmission sur 2 ans ou 24.000 miles (38.616 km), en plus de la garantie précédente. Hélas, en raison de l’inflation qui ronge l’économie américaine, les tarifs s’envolent de 25% ! Une berline 6 cylindres est désormais affichée à 4.549$, soit 922$ de plus qu’un an auparavant. Compte tenu de sa précédente augmentation, le tarif du break n’évolue que de 12%, à 4.899$. En conséquence directe de cette inflation, les ventes s’effondrent de 32% à 24.022 exemplaires en raison de la perte de la moitié des clients de la berline qui ne trouve que 12.944 acheteurs, alors que le break se maintient à 11.078 unités. A l’automne, Gerry Meyers est nommé à la présidence d’AMC. Au vu des résultats du modèle (13% du total d’AMC et 0,24% de part de marché), des ressources financières du groupe et des perspectives du marché (3% de baisse pour 1978), il décide, comme George Romney l’avait fait vingt ans plus tôt, de se retirer du marché des grandes voitures pour se consacrer aux compactes et aux subcompactes. Le projet des nouvelles Matador berline et break esquissées par Robert Nixon à partir du coupé est abandonné[xix].

Projet de berline 1975

Les modèles 1978 sont les derniers de la lignée. Ils reçoivent un emblème de capot vertical. Le choix des moteurs est réduit à deux blocs : le 6 cylindres de 4,2 l requinqué à 120 ch., et le V8 de 5 l de 140 ch. De nouveaux équipements font grossir les modèles V8 de 20 kg, ce qui fait des modèles de 1978 les plus lourds de la lignée avec une berline 6 cylindres à 1.686 kg  et un break à 1.881 kg. Les tarifs connaissent une ultime inflation de 8%, ce qui amène une berline 6 cylindres à 4.849$ et un break à 5.299$[xx]. La production finale n’atteint que 8.570 unités dont 3.746 breaks. Sur les 4.824 berlines produites, 23 seulement conservent le 6 cylindres de série. La Matador termine sa carrière avec une part de marché de 0,09%, en ne représentant que 6% des ventes d’AMC.

1978 sedan barcelona

 

III. Le coupé Matador (1974-1978).

Le début des années 1970 voit les muscle cars céder le pas aux pony-cars et aux coupés personnels[xxi]. Gerald Meyers l’a bien compris quand il propose à la direction  d’AMC de remplacer l’insipide coupé sans montant Matador par un nouveau modèle dont le dessin attire les amateurs de voitures à l’allure sportive sur le segment des coupés de taille moyenne qui prend une importance croissante.

Réponse à une question existentielle.

1974 coupe oleg cassini

AMC présente ainsi à l’automne 1973 un coupé au style particulier qui se caractérise par son allure aérodynamique et le bossage prolongé des phares sur le capot, fruit du travail de Robert Nixon et de son équipe, sous la supervision de Richard Teague. Les stylistes ont reçu carte blanche pour le dessiner et ils n’ont pas été contraints de partir de la base de la berline. L’allure aérodynamique du coupé est prononcée par son long capot et son arrière court. Mais l’élément le plus singulier est le traitement de ses phares. Hommage, selon Nixon, à la première voiture qu’il a dessiné pour AMC (la Rambler American de 1964), les phares semblent surgir de deux tuyères posées de part et d’autre du capot. Ils encadrent un capot qui s’incline fortement vers l’avant et aboutit sur une grille de calandre légèrement en étrave composée de 15 barres verticales et de 6 barres horizontales et qui arbore les combinés feu de position/clignotant repris à la berline. La face avant s’achève de façon moins gracieuse sur un imposant pare-chocs chromé rectiligne sur lequel sont greffés deux gardes en caoutchouc noir à l’aplomb des clignotants.

1974 coupe profil

Le profil adopte une ligne en deux volumes avec une ceinture de caisse soulignée par une baguette chromée qui s’élève en un mouvement de vague après la porte. La vitre de custode (fixe) suit ce mouvement qui la fait remonter plus haut que le bas de la lunette arrière. Le coffre prolonge la pente de la lunette et s’achève sur une double paire de feux cylindriques posés de part et d’autre de l’emplacement de la plaque d’immatriculation. Là aussi, la face arrière est fermée par un imposant pare-chocs chromé rectiligne sur lequel sont greffés deux gardes en caoutchouc noir à l’aplomb des feux intérieurs. Les passages de roues sont de même hauteur à l’avant et à l’arrière, et des clignotants rouges sont installés en bouts d’ailes.

1974 coupe vue arriere

Le coupé Matador se présente ainsi comme un des dessins les plus distinctifs et les plus controversés des années 1970 après la Pacer. En effet, en dehors du duo Camaro/Firebird, les coupés intermédiaires d’alors arborent une carrosserie 3 corps et des lignes taillées au rasoir ; la mode est au néo-rétro avec des détails de style qui évoquent les années 1930 (calandre verticale, toit imitant des capotes, opera windows, …). Quoi qu’il en soit, le coupé Matador reçoit le titre de « voiture la mieux dessinée de 1974 » par les rédacteurs du magazine Car and Driver. Une étude du magazine Popular Mechanics indique que « le style particulier du coupé Matador plait à la plupart de ses propriétaires » dont « 63,7% […] l’aiment particulièrement ». Pour la campagne publicitaire du lancement du modèle, AMC répond enfin à son interrogation initiale sur ce qu’est une Matador en montrant le nouveau coupé et en indiquant : « ça ! »

Si le coupé ne partage aucune pièce de carrosserie avec la berline, il en reprend quand même la plateforme dans une version à l’empattement réduit à 2,90 m (114 pouces), à la façon dont procède GM pour ses intermédiaires. La longueur atteint ainsi 5,32 m (17 cm de moins que la berline) pour une largeur de 1,92 m et une hauteur de 1,31 m (8 cm de moins). Bien entendu, il propose le même choix de moteurs et de transmissions. Le poids est ainsi quasiment le même que celui des berlines Matador : 1.559 kg pour le coupé à moteur 6 cylindres et 1.648 kg pour le coupé à moteur V8, soit une différence de 89 kg entre les deux motorisations.

Le coupé est proposé en trois niveaux de finition : base, Brougham et X. La version de base est équipée du 6 cylindres de 3,8 l et de la boîte de vitesse mécanique, et son aménagement intérieur assez sommaire comprend une banquette avant en deux parties, un capitonnage intérieur assorti, un allume cigare et un avertisseur sonore à double trompe. La version Brougham[xxii] arbore une décoration typique des années 1970 avec un traitement vinyle du toit et des opera windows (les emplacements des vitres sont en fait comblés par des panneaux de fibres de verre) ! Les passages de roues sont accentués par des moulures spécifiques, les roues reçoivent des enjoliveurs qui recouvrent toute la jante, et le capot une bande de peinture. L’aménagement intérieur est traité de façon prétentieuse avec des  appliques de faux bois et un capitonnage plus travaillé. Le moteur de série est le 6 cylindres de 4,2 l. Pour les amateurs, la Brougham peut être déclinée en version signée par le styliste de mode Oleg Cassini[xxiii], avec sièges individuels inclinables à l’avant, un capitonnage, des panneaux de portes et un ciel de toit noirs, des entourages d’instruments et des boutons couleur cuivre (finition qui se retrouve sur l’entourage des phares, la grille de calandre, les jantes et l’entourage de plaque d’immatriculation) et des marquages « Cassini » sur la boîte à gants, les repose-tête, les ailes avant et le capot[xxiv].

1975 coupe cassini

La version X reçoit en série le V8 de 5 l et la boîte automatique. La présentation sportive est assurée par une calandre teintée en noir, des bandes de peintures, des jantes en forme de turbine et un volant sport. Toutefois, tout équipé, un coupé Matador X pèse 1.837 kg et ses performances restent modestes. Road & Track chronomètre un modèle 5,9 l en 9 s de 0 à 96 km/h (0 à 60 mph) et à une vitesse maximale de 187 km/h, tandis que Car & Driver chronomètre un modèle 6,6 l à 8 s sur le 0 à 96 km/h. Les deux regrettent le manque de tenue de route de la voiture, sa répartition de poids à 60% sur l’avant et son manque d’habitabilité qui en fait davantage une 2+2 qu’un vrai coupé à 4 places ; ils lui préfèrent une Ford Torino ou une Chevrolet Chevelle moins bruyantes et plus confortables.

1975 coupe x

 Le tarif est fixé à 3.052$ pour le coupé de base 6 cylindres et à 3.195$ pour le coupé de base V8, soit 44$ de plus seulement que la berline, et en augmentation de 7% par rapport au modèle de 1973. Les versions Brougham sont affichées 153$ plus cher et la version X culmine à 3.699$. L’accueil du public est enthousiaste : 62.629 coupés sont livrés au cours de la première année de production[xxv], alors qu’il n’y avait eu que 7.067 coupés sans montant vendus en 1973. C’est un niveau de vente qui s’oppose à la chute du marché (-19%) et au déclin des coupés de taille moyenne après la crise énergétique de 1973, et cela permet à la Matador d’afficher un record de production de  100.035 exemplaires (1,1% de part de marché) ! Dans le détail, les versions de base représentent la moitié des ventes (31.169 exemplaires), les Brougham un tiers (21.026, dont 6.165 Cassini) et les X 16% (10.074 exemplaires). En cours d’année, un coupé Matador devient la 6 millionième voiture produite par AMC depuis sa fondation en 1954.

Simplification du genre.

Face à un tel succès, le coupé n’est pas modifié, mais sa gamme est réduite à un seul modèle ; les versions Brougham et X deviennent des groupes d’options, disponibles avec tous les moteurs. La version Cassini est maintenue. Le coupé suit les mêmes évolutions mécaniques que les autres Matador et un témoin de consommation d’essence apparaît au tableau de bord. Le poids des modèles augmente d’une cinquantaine de kilos ; un coupé de base 6 cylindres pèse ainsi 1.616 kg et la version V8 1.694 kg. Les tarifs augmentent de 10% à 3.446$ pour le coupé 6 cylindres et à 3.545$ pour le coupé V8. Pour la première fois de leur histoire, les coupés sont cependant moins chers que les berlines (pour 6$).Hélas, dans un marché de nouveau en recul de 19%, les ventes s’effondrent de 64% et n’atteignent que 22.368 exemplaires, dont 1.817 modèles Cassini. L’attrait de la nouveauté semble être passé, et le coupé Matador retombe dans son anonymat (0,32% de part de marché).

Pour 1976, le coupé reçoit une nouvelle grille de calandre constituée de deux panneaux rectangulaires comportant 8 barres horizontales et les combinés feu/clignotant rectangulaires de la berline.

1976 coupe barcelona

Le groupe d’option X disparaît, mais les amateurs de voitures sportives peuvent faire équiper leur coupé de jantes en aluminium, d’une bande rallye, de sièges baquet et d’une suspension plus ferme. La version Cassini cède la place à la Barcelona[xxvi], qui se caractérise par des sièges inclinables individuels avant de couleur noire ou cuir, une épaisse moquette assortie au bas des portes, des jantes noires ou couleur cuir, des pneus à flanc blanc, des bandes rouge et jaune sur la carrosserie, un accastillage fait de médaillons et de plaque siglés Barcelona et un insigne de capot dressé vers le ciel. Elle est peinte en deux tons or et sable, avec les pare-chocs et les rétroviseurs dans le ton de la caisse, et le toit est recouvert de vinyle sur sa partie arrière (façon landau) avec des opera windows.

1976 embleme du coupe barcelona

Les tarifs augmentent de 5% à 3.621$ pour le coupé 6 cylindres et à 3.725$ pour le coupé V8. Et les ventes s’effondrent à nouveau de 72% pour n’atteindre que 6.172 exemplaires, ce qui ne correspond même pas au plus faible niveau du coupé sans montant entre 1971 et 1973. Le coupé Matador ne compte que pour 2,2% de la production d’American Motors, et sa part de marché relève de l’anecdotique, à 0,07% !

Fin de lignée

Pour sa quatrième année, le coupé ne change pas beaucoup extérieurement ; les grilles de calandre reçoivent 8 barres verticales supplémentaires. Mais l’équipement comprend désormais en série la boîte automatique, la direction assistée, les freins à disques assistés et des sièges avant individuels. Le groupe d’option Brougham est remplacé par le nouveau Barcelona II qui reprend les caractéristiques du groupe Barcelona précédent. Le magazine Motor Trend essaie un coupé Barcelona II de 1977 qu’il trouve conforme aux objectifs fixés, et qu’il considère comme une des voitures les plus originales du marché, constituant « une bonne affaire … à condition de ne pas être insensibles à ses lignes ». Les tarifs augmentent de 20% à 4.499$ pour le coupé 6 cylindres et à 4.619$ pour le coupé V8, mais ils sont 50$ moins chers que les berlines équivalentes. Malheureusement les ventes ont beau remonter de 11%, elles n’atteignent que 6.825 exemplaires (soit 3,7% des ventes d’AMC et une part de marché inchangée de 0,07%).

1977 coupe

Aucun changement notable n’affecte le coupé Matador pour sa dernière année en 1978. Le groupe d’option Barcelona est reconduit sans la désignation "II", et il est étendu à la berline. Il offre un deuxième choix de teintes, rouge et rose. Les tarifs augmentent de 6% à 4.799$ pour le coupé 6 cylindres et à 4.989$ pour le coupé V8. Les ventes s’effondrent de 71% et n’atteignent que 2.006 exemplaires, à peine plus d’un par revendeur AMC ! Le coupé Matador termine sa carrière avec une part de marché de 0,02%, en ne représentant que 1,5% des ventes d’AMC.

Epilogue.

Après l’abandon de l’Ambassador, la fin de la Matador signe l’échec de la politique d’American Motors, initiée trente ans plus tôt, pour concurrencer les 3 Grands dans toutes les catégories du marché. En 1979, le plus grand modèle d’AMC est la Concord, une Hornet redessinée, qui selon les publicités, combine une « taille facile à manœuvrer et un vaste habitacle somptueux » et « un style global élégant … qui ne déplait à personne », à l’inverse du coupé Matador. Retour aux sources donc, mais ce repli est trop tardif pour empêcher le rachat du groupe par Renault puis sa cession à Chrysler qui ne vise qu’à récupérer la division Jeep.

Archétype de la voiture intermédiaire américaine du début des années 1970, la Matador en subit brutalement le rejet par le public après le premier choc pétrolier de 1973. Faute de moyens, American Motors ne parvient pas à la moderniser comme sont en mesure de le faire Chevrolet pour son Impala et Ford pour sa LTD II en 1977. En guise de chant du cygne, le coupé de 1974 se présente comme un des modèles les plus originaux de l’époque mais en décalage trop important avec les goûts des acheteurs pour les coupés personnels.

Boudée à sa sortie, négligée en collection, la Matador mérite d’être connue, pour son rôle dans l’histoire du 4° constructeur américain, et aussi pour avoir servi de piste de danse à l’inoubliable King of The Pop.

10 ans de mtv



[ii] Wetbacks est le surnom péjoratif donné aux clandestins mexicains qui émigrent aux États-Unis en traversant le Rio Grande à la nage.

[iii] Jusqu’alors, la notion de gamme est interne à chaque groupe, conformément à la politique de segmentation du marché définie par Alfred P. Sloan Jr au début des années 1920 pour GM.

[iv] Georges W. Romney (1907-1995) est élu gouverneur du Michigan en 1962 et réélu en 1966. En 1969, il est nommé secrétaire d’état au logement et au développement urbain dans la première administration Nixon.

[v] L’appellation Rebel désigne la version à moteur V8 de 4,1 litres (250 c.i.) de 215 ch. de la Rambler, de 1958 à 1960, avant d’être reprise en 1967 pour désigner la nouvelle génération de Rambler, puis d’être utilisée comme désignation de la marque en 1968.

[vi] En référence aux « rebelles » des Etats du Sud qui font sécession des Etats-Unis en 1861 à la suite de la promulgation de la loi sur l’abolition de l’esclavage par Abraham Lincoln.

[vii] Etat libre associé aux Etats-Unis depuis 1898, Porto-Rico en est quasiment le 51° Etat.

[viii] Les modèles AMC sont en effet monocoques (sans châssis séparés).

[ix] Richard A Teague (1923-1991) débute à la GM en 1947, passe chez Packard en 1952 puis chez Chrysler en 1957. Il entre chez AMC en 1959 qu’il quitte à sa retraite en 1983.

[x] Position qui entraîne un certain nombre d’arrêts forcés au bord des routes en raison du mal des transports qu’elle génère (les parents apprécient !).

[xi] La série des moteurs Typhon apparaît en 1964 sur la Rambler.

[xii] Trois quarts des acheteurs optent pour une motorisation V8 en 1971.

[xiii] Tous ces V8 sont dérivés du même small block de 4,7 litres (287 c.i.)  apparu en 1963 avec un alésage de 3,75 pouces (95,25 mm) et une course de 3,25 pouces (82,55 mm). Le 304 (5 l) et le 360 (5,9 l) apparaissent en 1970, le premier conservant le même alésage avec une course allongée à 3,44 pouces (87,38 mm) et le second conservant cette course avec un alésage de 4,08 pouces (103,6 mm). Le 401 (6,6 l) apparaît en 1971 avec un alésage porté à 4,17 pouces (105,9 mm) et une course de 3,68 pouces (93,47 mm). Cette série de moteur poursuit sa carrière jusqu’en 1991 sous le capot des Jeep.

[xiv] C'est-à-dire le tarif en sortie d’usine, sans options, hors taxes.

[xv] En 1971, une Chevrolet Chevelle est affichée à 2.677$, une Ford Torino à 2.672 et une Plymouth Satelitte à 2.734$, quand une AMC Gremlin vaut 1.899$ et une Cadillac 75 Limousine 12.008$.

[xvi] La même critique a été formulée pour la Cord 810 en 1936 !

[xvii] En réalité, plus de 95% des Matador sont équipées de la boîte automatique.

[xviii] Prestolite Electric est un fournisseur d’équipements électriques fondé en 1911 sous l’appellation d’Electric Autolite à Plymouth (Michigan). En 1997, la firme a racheté l’équipementier britannique Lucas.

[xix] Une maquette grandeur nature d’une berline 4 portes a été fabriquée puis détruite.

[xx] En 1978, une Chevrolet Malibu coûte 4.276$, une Ford LTD II 4.935$ et une Plymouth Fury 4.326$, quand une Ford Pinto vaut 3.139$ et une Cadillac 75 Limousine 20.007$.

[xxi] Le coupé personnel est un coupé à deux portes dont l’habitacle accueille 4 à 6 passagers et dont la finition est supérieure voire luxueuse (Chevrolet Monte Carlo, Pontiac Grand Prix, Oldsmobile Toronado, Buick Riviéra, Cadillac Eldorado). Les auteurs américains le désignent également sous les termes de personnal car.

[xxii] AMC utilise à juste titre cette appellation (qui se prononce broum) qui désigne, à l’origine, la variante luxueuse d’un coupé hippomobile telle que voulue par Lord Brougham à Londres en 1838.

[xxiii] Cassini est un créateur célèbre à Hollywood et dans la haute société pour ses robes en prêt-à-porter élégantes, comme celles portées par Jacqueline Kennedy. Cassini lui-même apparaît dans les publicités d’AMC.

[xxiv] Comme sur toutes les versions « signées » de grands créateurs (Gucci, Cartier, Cardin, …), et quelle que soit la marque, la plupart des équipements et des aménagements sont imaginés par le studio de style du constructeur et le créateur ne fait que donner son accord pour l’utilisation sous licence de sa marque et de sa signature.

[xxv] Cela représente 41% des ventes  de la Camaro et 20% des ventes de la Monte Carlo.

[xxvi] Le choix de cette appellation tient moins à celle de Matador qu’au choix d’autres marques d’utiliser le nom d’une ville espagnole pour désigner leurs modèles comme Cadillac avec sa Seville, Ford avec sa Granada et Chrysler avec sa Cordoba.